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Doublé Bartók Metz Opéra-Théâtre 11/20/2016 - et 22, 24* novembre 2016 Béla Bartók : A csodálatos mandarin, opus 19, sz. 73 (*) – A kékszakállú herceg vára, opus 11, sz. 48 Kim Maï Do Danh (La Jeune Femme), Konstantin Neroslov (Le Mandarin), Rémy Isenmann, Clément Malczuk (Les deux clients), Valérian Antoine, Paul Bougnotteau, Timothée Bouloy (Les trois brigands), Brice Lourenço (Un homme), Ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole (*)
Károly Szemerédy (Barbe-Bleue), Irina Oknina (Judith), Thomas Roedinger (le Barde), Marie Billet, Charlène François, Laurine Perrot (figuration)
Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, Nathalie Marmeuse (chef de chœur), Orchestre national de Lorraine, Jacques Mercier (direction musicale)
Nadine Duffaut (mise en scène), Gleb Lyamenkoff (chorégraphie), Emmanuelle Favre (décors), Philippe Grosperrin (lumières), Dominique Burté (*), Danièle Barraud (costumes), Baptiste Leydecker (*), Arthur Colignon (vidéo)
K. Szemerédy, I. Oknina (© Arnaud Hussenot/Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
Coproduit avec l’Opéra d’Avignon, Le Château de Barbe-Bleue réglé par Nadine Duffaut arrive à Metz dans un doublé différent, substituant à la création de Peter Eötvös, Senza sangue, une autre page de Bartók, compatriote hongrois sans doute mieux inscrit au répertoire, et plus à même peut-être de rassurer le public. On ne manquera pas cependant de saluer l’initiative de la maison lorraine de mettre à l’affiche Le Mandarin merveilleux.
Sans négliger l’expressionisme poétique de l’ouvrage, assumé en partie par les projections vidéographiques de Baptiste Leydecker, la lecture parfois plus chorégraphique que pantomimique de Gelb Lyamenkoff privilégie un certain réalisme qui emprunterait aisément au film noir américain, en écho au tropisme industriel et mécaniste du fordisme triomphant de l’entre-deux-guerres, vecteur d’une violence que le propos originel du livret distillait en une abstraction quasi picturale aux confins du symbolisme et du surréalisme. Les lumières de Philippe Grosperrin participent d’une telle inflexion de ce huis clos. Soutenus par la direction dynamique de Jacques Mercier, qui s’appuie, sans excès d’artifice, sur l’énergie parfois motorique de la partition où s’inscrivent les individualisations des pupitres, Kim Maï Do Dahn, en Jeune Femme, et Konstantin Neroslov, le Mandarin, concentrent l’intérêt du spectateur, dans des pas de deux qui ne négligent pas la tradition. Si l’on n’ignorera pas la vitalité de clients et de brigands aux allures de petits malfaiteurs, c’est d’abord le rôle éponyme qui se distingue, dans son cataplasme de blessures.
Après l’entracte, la proposition de Nadine Duffaut prend le parti d’une décantation nettement plus radicale dans Le Château de Barbe-Bleue. Si elle se sert également de l’appui vidéographique, conçu par Arthur Colignon, celui-ci se contente essentiellement d’ombres les murs du château, images des protagonistes et des silhouettes enfouies dans le souvenir de cette demeure intrigante. Indéniablement, l’économie de la mise en scène met remarquablement en valeur le mystère qui infuse l’ouvrage, mêlant, sans les souligner inutilement, les fils du conte, de la parabole et de la psychanalyse. Les qualités plastiques ne perdent jamais de vue les intentions expressives. Mentionnons également l’apparat nuptial de chacune des épouses, auquel n’échappera pas Judith, et dessiné avec intelligence par Danièle Barraud en coordination non servile avec le texte. Irina Oknina condense l’inquiétude inquisitrice de Judith et soutient les exigences de sa partie, sans se laisser effacer par l’aura du solide Károly Szemerédy en Barbe-Bleue plus humain que monstre, au diapason de l’adaptation de Béla Balázs. Quant à l’intervention liminaire du Barde, Thomas Roedinger en préserve la lisibilité dans un appréciable équilibre entre déclamation et confidence. Enfin, le travail de Jacques Mercier s’attache à tirer au mieux parti des ressources de son Orchestre national de Lorraine pour restituer autant que possible le puissant chatoiement de l’œuvre.
Gilles Charlassier
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