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Mort et transfiguration

Paris
Philharmonie
10/20/2016 -  
Johann Sebastian Bach : Johannes-Passion, BWV 245 (première partie) – Cantate «O Ewigkeit, du Donnerwort», BWV 60
Bernd Alois Zimmermann : Ich wandte mich und sah an alles Unrecht, das geschah unter der Sonne

Anna Lucia Richter (soprano), Ann Hallenberg (mezzo-soprano), Lothar Odinius (ténor), Georg Nigl (baryton), Georges Lavaudant, André Wilms (récitants)
Chœur de l’Orchestre de Paris, Lionel Sow (direction), Orchestre de Paris, Thomas Hengelbrock (direction)


T. Hengelbrock (© Florence Grandidier)


Programme à la fois atypique et d’une profonde cohérence pour ce premier concert de l’Orchestre de Paris sous la baguette de son chef associé. N’est-il pas, après tout, à l’image de Thomas Hengelbrock lui-même, qui vaque avec un égal bonheur de la musique ancienne à la plus contemporaine?


On se «réjouissait» d’entendre l’«Action ecclésiastique», ultime œuvre achevée de Bernd Alois Zimmermann (1918-1970) qui se donna la mort cinq jours après avoir mis un point final à la partition. Marek Janowski l’avait déjà donnée en 1990 avec l’Orchestre philharmonique de Radio France. Sa dernière exécution française remonte, sauf erreur, au mardi 14 janvier 2003 à la Cité de la musique: l’Ensemble intercontemporain était conduit par celui qu’on peut appeler le garant testamentaire de l’œuvre, Hans Zender, lequel suggéra à son ami Zimmermann d’écrire un «pendant» à la cantate Omnia tempus habent (1958) qui utilisait déjà un texte de l’Ecclésiaste (dans la version latine de la Vulgate). En résulta une sorte d’objet musical non identifié où, dans le sillage du pluralisme à l’œuvre dans le Requiem pour un jeune poète (1968), le compositeur rhénan choisit de confronter, par le truchement d’une basse et de deux récitants, le texte de l’Ecclésiaste (quatrième chapitre) au passage du Grand Inquisiteur des Frères Karamazov de Dostoïevski. La basse chante en allemand, mais la version choisie donnait à entendre pour la première fois la partie confiée aux deux récitants dans une traduction française.


N’était la ventilation de trombones au premier balcon, l’écriture musicale se limite à des effets laconiques, d’une relative simplicité, renforçant la dimension oppressive de cette course à l’abîme. Georges Lavaudant (assez neutre) et André Wilms (plus tragédien) n’ont pas suivi l’ensemble des indications présentes dans la partition, lesquelles stipulent que, lors de l’acmé chaotique, «les deux récitants hurlent dans la plus grande confusion: richesse, destruction de soi, s’exterminer les uns les autres. En même temps, ils gesticulent et font des actions qui relèvent de l’acrobatie»: nos deux respectables hommes de théâtre, s’ils honorent bien l’instant de «méditation» demandé par Zimmermann avant la «coda», ont fait l’économie des acrobaties... Mais la performance étourdissante du baryton Georg Nigl valait à elle-seule toutes les gesticulations du monde, laissant l’assistance transie d’effroi après sa montée en puissance sur l’improvisation «blues» du percussionniste. D’une discipline et d’une implication sans défaut, entre déflagrations (sections ad libitum aux percussions) et trames sonores réduites à leur plus simple expression (trémolos de contrebasses, solos de guitare électrique), l’Orchestre de Paris s’est montré à la hauteur de l’enjeu.


«Malheur à celui qui est seul» dit l’Ecclésiaste. Ce fut le cas du Christ, qui retint Bach dans sa Passion selon saint Jean dont la première partie inaugurait le programme joué sans aucune interruption. Le travaille accompli par Thomas Hengelbrock force l’admiration tant l’articulation obtenue avec les instruments modernes ne le cède en rien aux instruments anciens, même si l’on se délecte de la partie de basse charnue sur laquelle s’échafaude l’édifice polyphonique. Haletant, le sublime chœur d’entrée bénéficie de la diction ciselée du Chœur de l’Orchestre de Paris, remarquablement préparé par Lionel Sow. Loin de cette harmonie des sphères que revêt souvent la musique de Bach, il nous plonge d’emblée au cœur du drame qui va se jouer. Lothar Lodinius (voix pincée à la Peter Schreier) campe un Evangéliste d’une grande éloquence. Si Anna Lucia Richter s’impose dans ses airs aux vocalises fleuries, Ann Hallenberg, si bouleversante dans le bel canto, ne convainc pas, trop extérieure à la sémantique des textes; il faut dire que la petite harmonie lui pique la vedette dans les arias (hautbois et basson)...
Faire se succéder aussitôt la Cantate BWV 60 à l’Action ecclésiastique est une initiative heureuse: elle neutralise le message par trop nihiliste de Zimmermann – l’œuvre se referme sur une citation du choral Es ist genug (celui-là même utilisé par Berg dans son Concerto «A la mémoire d’un ange»), en quelque sorte injurié par la dissonance finale. Quand ce si beau choral retentit enfin apaisé à l’issue de la cantate (puis aussitôt bissé a capella en un geste déprécatoire), il est vécu comme une véritable catharsis. La salle a réservé un triomphe aux artistes: juste récompense pour ce qui constitue l’expérience musicale la plus forte de ce début de saison parisienne.



Jérémie Bigorie

 

 

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