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Un Américain à Genève Geneva Victoria Hall 09/02/2016 - John Adams: Short Ride in a Fast Machine – Shaker Loops – Scheherazade.2 (première exécution en Suisse) Leila Josefowicz (violon)
Orchestre de la Suisse Romande, John Adams (direction)
L’Orchestre de la Suisse Romande débute sa saison 2016-2017 sous le signe de la nouveauté. L’administration a inauguré de nouveaux locaux Rue des Maraîchers, à quelques minutes de Victoria Hall, plus spacieux, lumineux et professionnels, et a officialisé la nomination de sa nouvelle administratrice générale en la personne de Magalie Rousseau. Cette dernière a un parcours impressionnant au sein de plusieurs ensembles dont l’IRCAM et l’Orchestre philharmonique de Radio-France. Elle ne prendra ses fonctions qu’en novembre mais était présente à Genève hier pour une courte présentation sympathique où elle a évoqué son expérience, son souhait que l’orchestre et la musique soient disponibles au plus grand nombre et la joie de ses enfants de venir en Suisse.
La grande nouveauté de ce début de saison est surtout la venue à Genève de John Adams. Le compositeur américain a déjà été joué à plusieurs reprises en Suisse Romande, que ce soit par l’ensemble Contrechamps, David Greilsammer du temps où il était à la tête de l’Orchestre de chambre de Genève ou par l’OSR l’an dernier dans Harmonielehre sous la direction de Markus Stenz. Alors qu’Adams s’est souvent produit en Angleterre, en France, qu’il va être cette année le compositeur en résidence de l’Orchestre philharmonique de Berlin, c’est la première fois qu’il venait lui-même à Genève.
Le programme choisi par John Adams est un raccourci stimulant de son œuvre. Short Ride in a Fast Machine est une pièce courte dont la brillance sonore ne peut laisser personne indifférent. Shaker Loops est une œuvre d’inspiration minimaliste. Ce n’est pas une partition si virtuose si ce n’est qu’elle demande un engagement physique des musiciens, qui doivent trouver les grandes lignes sous-tendues dans la musique au-delà des répétitions nombreuses de notes.
Le pur style minimaliste n’est pas le seul que John Adams ait assimilé et dépassé. Scheherazade.2, que le compositeur analyse dans une brève présentation pleine d’esprit et de vivacité, est une œuvre plus épique inspirée par la visite en France de l’Institut du monde arabe. C’est une pièce plus ambitieuse par sa taille et son effectif. L’orchestration est flamboyante avec l’utilisation d’un cymbalum très présent. Il ne s’agit plus de musique pure comme dans la première partie. Il s’agit d’une «symphonie dramatique» dans l’esprit des œuvres de Berlioz où le violon qui représente Shéhérazade n’est pas un soliste de concerto mais un véritable acteur de tragédie.
Si John Adams a été servi par d’immenses chefs – des Rattle, Nagano, Jansons, Nagano, Dudamel... – le «chef d’orchestre» John Adams n’a rien à leur envier. De son côté, Leila Josefowicz, complice d’Adams depuis longtemps, nous donne une prestation d’une grande et rare intensité. Elle impressionne par le fait de jouer sans partition et vit plus que joue sa partie avec tant d’engagement. Les musiciens de l’Orchestre de la Suisse Romande reprenaient ici le chemin de Victoria Hall pour ce premier concert de la saison. Il y avait ici et là quelques traces de la trêve estivale mais très rapidement, on était surtout être frappé par la concertation des musiciens et leur attention au chef et à la musique. A cette occasion et très probablement du fait de la coopération avec le festival La Bâtie, Victoria Hall était quasiment plein d’un public plus varié, plus jeune et moins guindé que par habitude. En dépit de la difficulté des œuvres et de leur nouveauté pour le public, public et musiciens ont fait un triomphe mérité à John Adams et Leila Josefowicz.
La saison de l’OSR sera chargée. Il sera bien évidemment au Théâtre des Nations pour des œuvres exigeantes comme Wozzeck ou Così fan tutte sous la direction de Hartmut Haenchen, et la semaine prochaine Manon avec Patricia Petibon dans la mise en scène très attendue d’Olivier Py et sous la direction de Marko Letonja. Ces deux chefs seront également présents au Victoria Hall dans du répertoire symphonique. Kazuki Yamada conserve ses fonctions de premier chef invité et dirigera plusieurs programmes de Mozart à Poulenc. Charles Dutoit viendra diriger le War Requiem de Benjamin Britten. Pascal Rophé sera à nouveau à Victoria Hall avec un répertoire si adapté à l’ADN de l’OSR : Jeux de Debussy, Petrouchka de Stravinsky et une création de Michael Jarrell avec Tabea Zimmerman en soliste – Ansermet aurait approuvé. Jonathan Nott prendra ses fonctions en janvier dans un programme justement de musique française avec Pierre-Laurent Aimard. Il explorera des répertoires variés avec aussi bien des classiques – Quatrième Symphonie et Concerto pour violon de Brahms (avec Sergey Khachatryan en soliste), Cinquième Symphonie de Schubert... – que des raretés comme la Messe D. 950 du même Schubert et Pelléas et Mélisande de Schoenberg.
Mais musiciens et public retrouveront ils le même sentiment de découverte, d’émotion artistique et d’engagement intellectuel de ce programme ? Peut-être avons-nous simplement déjà assisté à la plus fascinante soirée de cette saison genevoise.
Antoine Lévy-Leboyer
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