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De nouveaux visages pour de nouveaux rivages Lucerne Centre de la culture et des congrès 08/12/2016 - et 13* août 2016 Gustav Mahler : Symphonie n° 8 en mi bémol majeur Ricarda Merbeth (Magna Peccatrix), Juliane Banse (Una poenitentium), Anna Lucia Richter (Mater gloriosa), Sara Mingardo (Mulier Samaritana), Mihoko Fujimura (Maria Aegyptiaca), Andreas Schager (Doctor Marianus), Peter Mattei (Pater ecstaticus), Samuel Youn (Pater profundus)
Chor des Bayerischen Rundfunks, Latvijas Radio koris, Orfeón Donostiarra, Tölzer Knabenchor, Howard Arman (préparation des chœurs), Lucerne Festival Orchestra, Riccardo Chailly (direction)
(© Peter Fischli/LUCERNE FESTIVAL)
Le Festival de Lucerne vient de débuter sous le signe du renouveau. Après les décès successifs de Claudio Abbado, fondateur et directeur musical de l’Orchestre du Festival, puis de Pierre Boulez, fondateur et responsable de l’Académie, les spéculations sont allées bon train sur leurs remplaçants. Pour l’Académie, c’est désormais le compositeur Wolfgang Rihm qui en assumera la responsabilité, secondé par Matthias Pintscher, à qui il incombera de diriger l’Orchestre de l’Académie, étant donné que, contrairement à Boulez, Rihm n’est pas chef d’orchestre. Pour l’Orchestre du Festival, après deux années sans directeur musical au cours desquelles il a été dirigé par Andris Nelsons et Bernard Haitink, c’est Riccardo Chailly qui présidera désormais aux destinées de la formation. Le chef italien a entamé son mandat lucernois avec éclat, par deux représentations de la Huitième Symphonie de Mahler. Un choix symbolique s’il en est, puisqu’Abbado n’avait pas voulu terminer le cycle Mahler qu’il avait commencé à Lucerne en 2003, ne se sentant pas d’affinités particulières avec la Huitième. Les deux concerts ont été dédiés à Claudio Abbado, dont Riccardo Chailly a été l’assistant à la Scala à l‘âge de 19 ans, avant de devenir son ami. Si les deux chefs ont des répertoires assez proches, Chailly entend néanmoins aborder de nouveaux rivages musicaux à Lucerne. Il n’a présenté qu’un seul programme cet été, mais doit en assumer deux en 2017, puis trois à partir de 2018. On peut imaginer qu’il complétera le cycle Bruckner lancé par Abbado. Il a d’ores et déjà annoncé qu’il souhaitait se tourner aussi vers la musique contemporaine, n’excluant pas une collaboration avec Wolfgang Rihm, qu’il connaît bien pour avoir dirigé la création de quelques-unes de ses œuvres. Par ailleurs, le second programme 2016 de l’Orchestre du Festival sera placé sous la responsabilité de Bernard Haitink, avec une autre Huitième, celle de Bruckner justement. Pour la première fois, l’Orchestre du Festival accueille des musiciens de la Philharmonie de la Scala, dont Riccardo Chailly assumera la direction artistique dès l’année prochaine. Souhaitant une coupure claire avec Leipzig, qu’il vient de quitter, Chailly a cependant écarté de l’Orchestre de Lucerne les musiciens du Gewandhausorchester qui avaient l’habitude d’y jouer, ce qui a suscité un certain émoi en Allemagne.
Comme, depuis sa fondation, l’Orchestre de Festival de Lucerne s’est surpassé, concert après concert, pour offrir des prestations mémorables sous la direction d’Abbado, la première apparition de Chailly à sa tête était bien évidemment attendue avec impatience. Le chef n’a pas déçu, plaçant d’emblée la barre très haut. La prodigieuse explosion de vie de la première partie de la Huitième Symphonie de Mahler a fait trembler les murs de la vénérable salle de concert conçue par Jean Nouvel, une salle qui atteignait ici clairement ses limites acoustiques. Il a fallu toute l’expérience du chef pour garder sous contrôle la masse sonore. Une masse sonore, qui, alliée à des « tempi » vifs et énergiques, n’a cependant pas nui à la transparence, le maestro cherchant à faire entendre chaque détail. La seconde partie a convaincu à la fois par son raffinement et sa clarté, mais aussi par sa tension dramatique, Chailly considérant l’œuvre comme une « cantate scénique ». Dans l’introduction clairement agencée, le chef italien a su admirablement créer une grande profondeur, avant de faire décoller toutes les forces en présence, jusqu’à l’apparition, dans une infinie délicatesse, de Mater Gloriosa. Les quatre chœurs réunis ont fourni une prestation exceptionnelle, On n’en dira pas autant des solistes vocaux, qui ont surtout chanté fort, à l’instar du ténor Andreas Schager, aux aigus souvent forcés et tendus. Les seules à avoir tiré leur épingle du jeu ont été Sara Mingardo, aux graves superbement timbrés, et Mihoko Fujimura, dont la courte intervention a été rendue avec une douceur diaphane. Très recueilli et concentré, le public n’a laissé éclater son enthousiasme que bien après la dernière note, avant de se lever comme un seul homme. Lucerne peut repartir sur de nouvelles bases.
Claudio Poloni
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