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Ténèbres lunaires

Barcelona
Peralada (Parc du château)
08/06/2016 -  et 8 août 2016
Giacomo Puccini : Turandot
Iréne Theorin (Turandot), Josep Fadó (Altoum), Andrea Mastroni (Timur), Roberto Aronica (Calaf), Maria Katzarava (Liù), Manel Esteve (Ping), Francisco Vas (Pang), Vicenç Esteve Madrid (Pong), José Manuel Díaz (Mandarin)
Coro Intermezzo, Enrique Rueda (chef de chœur), Cor infantil Amics de la Unió, Josep Vila (chef de chœur), Orquestra del Gran Teatre del Liceu, Giampaolo Bisanti (direction musicale)
Mario Gas (mise en scène), Paco Azorín (scénographie), Antonio Belart (costumes), Quico Gutiérrez (lumières)


(© Toti Ferrer)


Peralada n’a jamais été un haut lieu des productions iconoclastes. Le festival n’en propose pas moins, pour son opéra annuel, des spectacles intéressants, comme l’Otello de Verdi l’année passée. On n’en dira pas autant de la Turandot programmée à l’occasion de son trentenaire. Mario Gas s’en tient à cette Chine fantasmée, obscure ou rutilante, que la tradition perpétue depuis la première, dirigeant les chanteurs selon une convention éprouvée… sinon éculée. Certes, il instille ici ou là quelques touches de modernité un peu trash, comme lorsque les trois ministres, pendant le supplice de Liù, se dépouillent de leurs habits de soirée, revêtent un tablier ensanglanté de boucher, mettent de longs gants, brandissent une hache... et s’apprêtent à découper, fort symboliquement, une pauvre volaille. Cela ne change rien, à vrai dire, au réalisme littéral de l’ensemble, où l’on peut aussi friser le ridicule – les poses des prostituées offertes à Calaf pour le détourner de l’inflexible princesse. A la fin, une vraie fausse bonne idée : on nous rappelle que Toscanini, lors de la création, cessa de diriger là où Puccini cessa de composer et que la suite est de la plume de Francesco Alfano. Dès lors, le couple chante le final en tenue de gala, dans une version de concert qui ressemble à un show télévisé. Mais cela se retourne à la fois contre le metteur en scène, toujours aussi dépourvu, et contre le pauvre Alfano, dont l’infériorité paraît d’autant plus évidente.


On a pourtant aimé cette Turandot, à cause de la musique, très bien servie par tout le monde. Giampaolo Bisanti évite le piège du pompiérisme sans émousser la puissance de la partition, souligne les raffinements de l’orchestre de Puccini, plonge le drame dans une ambiance de ténèbres lunaires – très beau début du troisième acte. Rares sont les Turandot capables de rendre vraiment justice à un rôle terrible entre tous : malgré un vibrato élargi dans le médium, Iréne Theorin y crée une divine surprise, elle qu’on a entendu souvent plus solide que raffinée. Non seulement elle n’a rien à craindre des tensions de la tessiture, des aigus ravageurs, mais elle parvient à chanter pianissimo. Et, surtout, elle peut fendre l’armure de la princesse « di gel cinta », révéler des fêlures, des frémissements, des peurs enfouies. Très belle Liù également de la jeune Maria Katzarava, timbre à la chair fruitée, petite esclave sans fadeur, d’une noblesse fragile dans l’humilité, au phrasé délicatement galbé, capable de pianissimi diaphanes et d’impeccables messa di voce. Calaf excède sans doute un peu les moyens de Roberto Aronica, surtout dans les ensembles du premier acte. Mais plutôt que de les forcer, il privilégie la ligne, la souplesse et la nuance, en digne élève du styliste Carlo Bergonzi, campant ainsi un prince inconnu plus sensible qu’héroïque. D’une cruauté sarcastique, les trois ministres savent aussi s’épancher pour évoquer avec nostalgie un monde perdu, en particulier le beau Ping de Manel Esteve. Pas de Turandot sans les chœurs : ils ont vaillamment rendu justice à Puccini.



Didier van Moere

 

 

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