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Regards sur le piano de Messiaen La Grave Eglise Notre-Dame de l’Assomption 07/27/2016 - Olivier Messiaen : Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus Michel Béroff (piano)
Messiaen, qui possédait une maison dans l’Isère voisine, ne passait qu’une partie de ses vacances à La Grave, dans les Hautes-Alpes, au pied du massif de La Meije, qui culmine à près de 4000 mètres, mais on peut véritablement parler ici de «génie du lieu», au sens propre comme au sens figuré, tant ces paysages l’ont marqué et inspiré. La création, en 1998, du festival «Messiaen au Pays de la Meije» a renforcé le lien entre le compositeur et ces paysages majestueux: c’est toujours Gaëtan Puaud qui en est le directeur artistique et, comme chaque année, il a trouvé dans cette personnalité et ce créateur d’une richesse inépuisable la féconde thématique de sa dix-neuvième édition, qui se tient du 23 au 31 juillet, «Le Piano selon Messiaen».
Le fil rouge consiste donc en l’intégrale de l’œuvre pour piano de Messiaen par plusieurs pianistes pour la plupart tout à fait familiers de cet univers: Markus Bellheim, Michel Béroff, Geoffroy Couteau, François-Frédéric Guy, Peter Hill, Wilhem Latchoumia, Lorenzo Soulès, Tamara Stefanovich, Marie Vermeulin. Mais la programmation est également consacrée à ceux que Messiaen tenait pour les maîtres du piano et, plus généralement, du clavier –Couperin, Rameau, Scarlatti, Chopin, Albéniz, Debussy – et à des pages de quelques-uns de ses élèves – Benjamin, Boulez, Murail –, ce qui permet aussi d’entendre Benjamin Alard, Philippe Bianconi, Florent Boffard, Pierre Hantaï et Luis Fernando Pérez. Et comme il ne saurait y avoir ici de festival sans défi à la hauteur des montagnes qui l’entourent, comme un orchestre symphonique à 2400 mètres d’altitude en 2015, cette année est marquée par l’interprétation de «larges extraits» des quatre volumes de la réduction chant et piano de l’opéra Saint François d’Assise réalisée par Yvonne Loriod, qui n’avait pas encore été donnée en public à ce jour. Mais il n’y en a pas que pour les claviers, puisque notamment au travers des hommages rendus à deux anciens élèves de Messiaen, György Kurtág et Gilbert Amy, à l’occasion, respectivement, de leurs quatre-vingt-dix et quatre-vingts ans, la musique de chambre est représentée par Donatienne Michel-Dansac, Hae-Sun Kang, les élèves du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, le Trio Elégiaque ainsi que les quatuors Parisii et Van Kuijk. En outre, tout au long de ces neuf journées, seront créées des pièces de Benjamin Attahir, Rodolphe Bruneau-Boulmier, Jérôme Combier, Allain Gaussin et Michael Seltenreich. Enfin, le festival reste fidèle aussi bien à la pédagogie – journée d’étude, table ronde, portraits, conférence – qu’à la découverte de cette nature que Messiaen aimait tant – randonnées botanique, glaciaire et ornithologique.
Si Messiaen était davantage encore organiste que pianiste, il faut bien distinguer l’interprète du compositeur qui, pour sa part, avait mis «le piano au sommet ses œuvres» – le piano, pas l’orgue ni l’orchestre. On doit sans doute cette orientation à la rencontre, durant la Seconde Guerre mondiale, avec la toute jeune Yvonne Loriod (1924-2010), qui allait devenir sa seconde épouse. Après avoir inspiré, créé et reçu la dédicace des Visions de l’Amen pour deux pianos en 1943, elle fut également à l’origine des Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus (1944), dont elle assura la création alors qu’elle était tout juste âgée de vingt-et-un ans.
Michel Béroff, quant à lui, n’avait pas encore vingt ans lorsque, à l’automne 1969, il enregistra ce recueil pour EMI, deux ans après avoir remporté le premier concours Olivier Messiaen. Même s’il ne joue pas par cœur, à la différence de Roger Muraro, qui l’avait enregistré in loco en 2005 (DVD Accord) et repris quasiment au pied levé en 2008, il n’en fait pas moins forte impression tout au long de ces près de deux heures de musique: dès les premières mesures, la réalisation est magnifique, l’interprétation habitée – et il en sera ainsi jusqu’à la dernière note, moyennant une très courte pause après le Sixième Regard (la redoutable fugue de «Par Lui tout a été fait») et un entracte en bonne et due forme à mi-chemin, après le Dixième («Regard de l'Esprit de joie»). Sans chercher à suggérer l’orchestre ou des registrations d’orgue, ou même à déployer une ambition symphonique, Béroff possède une fascinante capacité à donner l’illusion de plans sonores bien distincts, rendant ainsi justice à cette écriture par blocs. Usant d’un large éventail dynamique et veillant à une totale clarté polyphonique dans l’acoustique parfaite du lieu, il fait apparaître tout ce que Messiaen a retenu de Debussy, Ravel, Bartók, Stravinski et pourquoi pas aussi Liszt, au moment même où il se forge un langage éminemment personnel. Béroff n’élude pas le caractère démesuré de l’entreprise et carillonne à souhait, mais sans que cela devienne un prétexte à un relâchement ou à un laisser-aller stylistique, d’autant qu’il veille à faire respirer le texte et suscite une poésie d’une magie envoûtante («Le baiser de l'Enfant-Jésus», «Je dors, mais mon cœur veille»).
Le public, qui a rempli la petite église Notre-Dame de l’Assomption, est donc aux anges pour déguster sa traditionnelle tisane d’après-concert dans l’école maternelle voisine.
Le site de Messiaen au Pays de la Meije
Simon Corley
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