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Lucia en teintes marines

Nancy
Opéra
06/22/2016 -  et 24, 26, 28, 30 juin 2016
Gaetano Donizetti : Lucia di Lammermoor
Erin Morley (Lucia), Rame Lahaj (Edgardo), Jean-François Lapointe (Enrico), Jean Teitgen (Raimondo), Emanuele Giannino (Normanno), Christophe Berry (Arturo), Valeria Tornatore (Alisa)
Chœur de l’Opéra national de Lorraine, Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, Sascha Reckert (glassharmonica), Corrado Rovaris (direction musicale)
Jean-Louis Martinelli (mise en scène), Gilles Taschet (décors), Patrick Dutertre (costumes), Jean-Marc Skatchko (lumières), Hélène Guetary (vidéo)


(© Opéra national de Lorraine)


Ouverte par une trilogie autour de la figure d’Orphée (voir ici) – dont la recréation scénique française de l’Orfeo de Rossi qui été couronnée par le Grand Prix de la critique il y a quelques jours – la saison 2015-2016 de l’Opéra national de Lorraine se referme avec un classique du bel canto, Lucia di Lammermoor. Si elle ne manque pas, comme il se doit, de mettre en avant, au travers de la figure de l’héroïne éponyme, le destin de soumission partagé par les femmes à l’âge romantique, la lecture de l’ouvrage de Donizetti proposée par Jean-Louis Martinelli se signale par un relatif minimalisme, du moins dans les décors sobres dessinés par Gilles Taschet, où la transposition du féodal dans l’entrepreneuriat version années soixante à coup de tables en formica n’envahit pas exagérément le propos. Les projections vidéographiques, conçues par Hélène Guetary, soulignent la blanche puissance fantasmatique du cheval et de l’élément aquatique, étale comme un horizon marin, ou s’égrenant à la manière d’une secrète et interminable cascade, jusqu’à contredire parfois la dynamique dramatique. A ce titre, on remarquera, dans l’homogène panoplie de costumes imaginée par Patrick Dutertre, la prédominance des cirés, quand les robes de Lucia corsètent cette dernière à la façon d’un mariage arrangé et forcé. Quant à la scène de la folie, replacée dans une réplique miniature de l’Opéra de Nancy, l’effet spéculaire ne va guère plus loin que l’artifice. Plus que des intentions herméneutiques plutôt consonantes, c’est la maïeutique d’une identité esthétique que le spectacle ne semble pas vouloir mener à son terme.


Sans avoir besoin céder aux sirènes de la puissance, Erin Morley distille dans le rôle-titre une évidente séduction, qui passe sans difficultés la rampe de l’orchestre, appuyée par une musicalité délicate, perceptible dans une ornementation où la virtuosité ne sacrifie jamais le raffinement, que ne gâche point un babil subtilement fruité. D’aucuns attendront davantage que cette incarnation mesurée; pour autant, si l’on a connu délire plus tourmenté, la fragilité du personnage palpite explicitement dans son ultime folie – à défaut peut-être de bouleverser sans réserve. Avec un timbre solaire qui rappelle un peu le jeune Domingo et des afféteries où l’on croirait deviner une imitation de Kaufmann, Rame Lahaj fait, de loin, autant illusion que son charme latino. Si le ténor kosovar possède d’incontestables prédispositions, à l’aune desquelles se nourrit une indulgence primitive, les irrégularités récurrentes, qui ne concernent pas que l’aigu, se révèlent finalement pénalisantes au sortir de la soirée – sans préjuger d’augures incertains si l’impulsivité ne se régule point. Le contraste avec le métier de Jean-François Lapointe ne saurait être plus saisissant. Nonobstant de discrètes raideurs çà et là, son Enrico n’économise pas le sombre rayonnement d’une âme vile. La constance d’une ligne et d’un souffle solides témoignent d’une maîtrise du bel canto qui ne néglige pas le poids des mots, dans un intelligent équilibre entre son et texte que plus d’un interprète de ce répertoire tend à négliger au profit des seules notes. Salué le mois dernier dans Les Pêcheurs de perles, Jean Teitgen affirme une admirable égalité de couleur sur l’ensemble de la tessiture, et se confirme en Raimondo comme l’une des meilleures basses de la scène française, à la réputation sans doute insuffisamment ostentatoire. Christophe Berry livre un Arturo méritant. Emanuele Giannino résume un Normanno comploteur à souhait. Mentionnons encore les interventions idiomatiques de Valeria Tornatore en Alisa, ainsi que l’expressivité des chœurs de la maison. Quant à la direction de Corrado Rovaris, elle s’attache à la plasticité rythmique de la partition, quitte à étirer certains tempi jusqu’à l’amollissement, tandis qu’elle met en valeur les pupitres de l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, ainsi que, bien évidemment, l’irremplaçable glassharmonica, confié ici au doigté expert de Sascha Reckert.



Gilles Charlassier

 

 

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