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Mozart au naturel

Baden-Baden
Festspielhaus
05/15/2016 -  et 4, 8 (Budapest), 13, 14 (Brugge), 17 (Amsterdam) mai 2016
Wolfgang Amadeus Mozart : Per questa bella mano, K. 612 – Concerto pour clarinette, K. 622 – Requiem, K. 626
Norma Nahoun (soprano), Barbara Koselj (mezzo-soprano), Bernard Richter (ténor), Hanno Müller-Brachmann (basse), Akos Acs (clarinette), Zsolt Fejérvári (contrebasse)
Collegium Vocale Gent, Budapesti Fesztiválzenekar, Iván Fischer (direction)


(© Andrea Kremper)


Après le tourbillon intense du Festival de Pâques où toute la petite ville de Baden-Baden s’est trouvée envahie par les Berliner Philharmoniker et leurs pléthoriques activités, au point d’en donner le tournis à un personnel du Festspielhaus mis constamment sous pression, le traditionnel Festival de Pentecôte aura paru d’ambition plus modeste, mais sans lésiner sur une bonne qualité d’ensemble. Une belle série de six concerts distribués avec soin (Iván Fischer, John Eliot Gardiner, Daniel Hope, Kit Armstrong, l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig...), autour d’une courageuse production du Mefistofele de Boito. Un projet scénique méritoire car monté peu de semaines après le Tristan des Berliner Philharmoniker, dans une maison dont les ressources en personnel sont loin d’être infinies. Courageux aussi vu la rareté d’un titre qui ne fait pas forcément courir les foules. En tout cas ceux qui se sont déplacés ont pu apprécier le bon niveau général d’une production où ont brillé particulièrement les Münchner Philharmoniker et le Chœur Philharmonia de Vienne, prestation somptueuse sous la baguette très professionnelle et efficace de Stefan Soltesz. Mise en scène et scénographie très « tape-à-l’œil », sorte de spectacle de cabaret façon Las Vegas teinté d’éléments plus grinçants (un énorme crâne en fond de scène, dont Faust et Méphistophélès habitent volontiers les orbites). Rien de scéniquement indigne, rien de franchement passionnant non plus, mais la qualité musicale n’est jamais prise en défaut, avec en première ligne l’excellent Faust de Charles Castronovo et le turbulent Erwin Schrott, un peu pauvre en graves mais qui compense bien cette déficience par d’autres atouts.


L’inoubliable n’était pourtant pas à rechercher là mais dans le concert du dimanche de Pentecôte dirigé par Iván Fischer avec à la fois un charisme et un sens musical tout simples, qui vont de soi. Un Mozart de cette trempe, où tout paraît se mettre en place avec tellement de naturel qu’aucune autre option ne semble même possible, on n’en trouve vraiment pas tous les jours. Le Concerto pour clarinette, magnifiquement joué par Akos Acs, sorti des rangs de l’orchestre, passe ainsi comme un rêve éveillé, poème musical d’un seul tenant où tout s’enchaîne comme par miracle. Ce qui n’exclut pas quelques moments de grâce qui suspendent encore davantage le temps (la suavité indescriptible d’une section pianissimo, en plein milieu du second mouvement, nous restera longtemps encore en mémoire). En bis : une ahurissante démonstration de Klezmer, par un soliste qui sait décidément tout faire, assisté par plusieurs instrumentistes de l’Orchestre du Festival de Budapest qui interviennent tour à tour, pendant qu’Iván Fischer renonce ostensiblement à diriger tant c’est apparemment inutile.


Belle mise en condition auparavant, avec l’air de concert Per questa bella mano, écrit par Mozart pour Franz Gerl, le créateur du rôle de Sarastro, pièce qui présente pour particularité d’associer à la voix une contrebasse obligée. De part et d’autre du chef, la basse Hanno Müller-Brachmann (belle projection, mais le timbre reste étrangement caverneux, même s’il s’est un peu enrichi avec les années) dialogue ainsi avec l’énorme instrument de Zsolt Fejérvári. Mozart a fait là un redoutable cadeau à Friedrich Pischlberger, virtuose de la contrebasse pour qui il a écrit cette pièce, et il est amusant de voir les doigts de l’instrumentiste courir à toute vitesse sur son manche pour négocier des intervalles qui paraissent physiquement énormes.


Mais c’est en définitive le Requiem donné en seconde partie de ce programme, tout entier formé de pièces de la dernière année de vie de Mozart, qui réserve le plus de surprises. Iván Fischer a beaucoup travaillé sur la disposition des pupitres dans cette œuvre, en testant déjà précédemment en concert plusieurs configurations différentes, mais là vraiment, la spatialisation nous paraît totalement inédite et particulièrement osée, puisque les choristes ne sont placés ni derrière, ni sur les côtés mais carrément dans l’orchestre. A raison de six voix par partie, les membres du Collegium vocale de Gand se disséminent au milieu des pupitres instrumentaux, très distants les uns des autres (deux à trois mètres d’espace entre chaque chanteur). On s’étonne que toutes ces silhouettes debout entre les pupitres ne gênent pas davantage la vision du chef, pour des instrumentistes qui eux restent évidemment assis, on constate au passage qu’on a eu soin d’apparier correctement voix aiguës et instruments aigus, voix graves et instruments graves, et en tout cas on ne sait vraiment pas à quoi s’attendre. Mais on est vite rassuré, tant le résultat s’avère miraculeux, idéale fusion des timbres qui pourtant ne gêne jamais la lisibilité des parties séparées. Le Collegium vocale de Gand confirme si besoin ses aptitudes de formation d’élite, chaque chanteur assumant crânement son rôle à découvert comme n’importe quel soliste d’opéra. Aucune bavure, pas la moindre hésitation dans les parties polyphoniques, le résultat est confondant de maîtrise, même pour attaquer par exemple un Rex tremendae parfaitement ensemble, d’une insolente puissance. Là encore, outre les qualités individuelles, c’est le magnétisme du chef, avec un sens inné du discours évident, jamais sollicité pour le plaisir d’un petit détail futile ou d’un accent superflu, qui mène tout le monde à bon port. Minuscule pause, comme un petite minute de silence symbolique, avant d’attaquer le Sanctus de cette version par ailleurs standard, avec les habituels ajouts du bon élève Süssmayr. Bon quatuor de solistes, pas très homogène, transfiguré par quelques lumineuses phrases de la soprano Norma Nahoun et où la forte voix du ténor Bernard Richter tranche moins qu’à l’accoutumée. Une soirée évidente.



Laurent Barthel

 

 

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