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Aux confins de la vengeance

Nantes
Théâtre Graslin
04/19/2016 -  et 21, 24, 26, 28* avril 2016
François Paris : Maria Republica (création)
Sophia Burgos (Maria Republica), Noa Frenkel (La Révérende Mère), Anwen Plantard (Maria Republica enfant)
Ensemble Solistes XXI, Rachid Safir (direction de l’ensemble, préparation des solistes): Marie Albert (Rosa novice), Benoît-Joseph Meier (Christ sauvage, Don Modesto), Els Janssens Vanmunster (Dona Eloisa, La Sœur Psychologue), Céline Boucard (La Sœur Capitaine, La Sœur Commissaire), Raphaële Kennedy (La Sœur Gardienne)
CIRM, José Echeveste, Ircam (programme Antescofo) (électronique), Ensemble Orchestral Contemporain, Daniel Kawka (direction musicale)
Gilles Rico (mise en scène), Bruno de Lavenère (scénographie), Violaine Thel (costumes), Bertrand Couderc (lumière), Etienne Guiol (vidéo)


(© Jef Rabillon pour Angers Nantes Opéra)


La création lyrique constitue un enjeu si souvent rebattu, que l’on en oublie parfois les risques et les réussites. Celle proposée par l’Opéra de Nantes en ce milieu de printemps offre à la fois son premier opéra à François Paris autant qu’un voyage étrange dans la mémoire de la guerre civile espagnole sous la menace du franquisme. Inspiré par le roman homonyme d’Agustín Gómez-Arcos – lui-même reprenant une pièce de théâtre princeps –, Maria Republica retrace la vengeance d’une jeune femme dont les parents ont été assassinés par les fascistes, avec la complicité de sa tante. La scène inaugurale oppose ainsi la prostituée qu’elle est devenue à son frère qui a revêtu l’uniforme et s’est soumis à l’ordre policier. Malade d’une infection non précisée – que sa condition rend contagieuse –, Maria quitte sa marginalité pour revêtir la condition de religieuse. Les progrès de la novice, qui a dépassé ses réticences, contribuent à la crédibilité ambiguë de sa conversion, scandée par des rituels aux confins du satanisme, où le spectateur peut éprouver une ambivalence flirtant avec le malaise. Sa soumission à l’institution ecclésiale sera le foyer où couvera l’exécution de sa revanche, qui flambera en même que le couvent et les suppôts d’un régime politique honni.


Le livret s’inscrit de manière perceptible dans l’écriture du drame initial et nourrit la mise en scène de Gilles Rico, économe et évocatrice à la fois. Articulée autour de panneaux mobiles ouvragés aux motifs que l’on peut imaginer mauresques – référence hispanisante sans doute –, la scénographie imaginée par Bruno de Lavenère esquisse efficacement les espaces du monastère, embrumés d’encens que les lumières de Bertrand Couderc souligne avec un sens du mystère vénéneux, tandis que les costumes dessinés par Violaine Thel s’attachent à un réalisme visuel accentuant par contraste les forces délirantes. Les rituels, dont la violence éventuelle n’est pas éludée, exercés sur la Sœur Psychologue ou par le Christ sauvage, participent de la fragilisation des frontières entre réel et fantasmes, sous la pression protéiforme du pouvoir.


Quoique novice dans le théâtre lyrique, François Paris n’en démontre pas moins une maîtrise évidente des paramètres consacrés. Si elle s’autorise l’appui de l’informatique musicale, par l’intermédiaire du programme Antescofo conçu par l’Ircam, la partition ne néglige aucunement l’effectif acoustique, dont elle exige une virtuosité redoutable. L’électronique se résume d’abord à une extrapolation des sonorités naturelles, au diapason de la dynamique dramatique. Quant à la partie vocale, elle ne cherche pas à nier le génie du gosier: parfois héritière de certains usages du répertoire français, la prosodie ne s’abîme guère dans l’artifice, si ce n’est quelques déplacements dans les allongements de certaines valeurs vocaliques ici et là, sans doute davantage exigés par l’entropie des tempi que l’intention expressive.


Le plateau fait honneur à cette musique exigeante et ciselée. L’aura de Sophia Burgos dans le rôle-titre s’avère d’une évidence inévitable, restituant la complexité et les paradoxes du personnage, avec un sens du théâtre qui ne sacrifie jamais la plénitude vocale. L’opposition mimétique de la Mère Révérende incarnée par Noa Frenkel fonctionne comme une émulation fiévreuse. Confié à l’ensemble Solistes XXI, préparé par Rachid Safir, le reste de la distribution complète et se fait l’écho de cette intensité, de Marie Albert en Rosa novice à Raphaële Kennedy, retorse et jalouse Sœur Gardienne, en passant par Céline Boucard, Sœur Capitaine et Sœur Commissaire, et la déréliction de la Sœur Psychologue, incombant à Els Janssens Vanmunster, qui endosse aussi la défroque de la bigote Dona Eloisa, la tante. On n’oubliera pas le Christ sauvage, qui revient à Benoît-Joseph Meier, lequel apparaît au début en Don Modesto. Enfin, saluons la direction remarquable et convaincue de Daniel Kawka, lequel a porté les musiciens de l’Ensemble Orchestral Contemporain pour rendre possible cette création puissante et originale, qui mériterait bien plus que les cinq représentations nantaises – signe que le courage n’est pas l’apanage des plus grandes maisons.



Gilles Charlassier

 

 

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