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Un diptyque aux mille reflets Tours Grand Théâtre 03/25/2016 - et 27*, 29 mars 2016 Louis Beydts : La S.A.D.M.P.
Leonard Bernstein : Trouble in Tahiti Sophie Marin-Degor (Elle/Dinah), Laurent Deleuil (Henri Morin/Sam), Lionel Peintre (Le Grand Industriel/Boy 2), Antoine Normand (Le Gros Commerçant/Boy 1), Jean-Marie Frémeau (Le Comte Agénor de Szchwyzki), Pascale Sicaud-Beauchesnais (Girl)
Orchestre symphonique Région Centre-Val de Loire-Tours, Jean-Yves Ossonce (direction musicale)
Catherine Dune (mise en scène), Elsa Ejchenrand (décors), Elisabeth de Sauverzac (costumes, mouvements chorégraphiés), Marc Delamézière (lumières), Sophie Marin-Degor (claquettes)
(© François Berthon)
Après un diptyque associant La Voix humaine et L’Heure espagnole la saison dernière, Catherine Dune revient sur la scène du Grand Théâtre de Tours avec un couplage plein d’esprit, faisant voisiner la savoureuse Société Anonyme des Messieurs Prudents de Beydts avec l’invention de Trouble in Tahiti de Bernstein. Comme l’an passé, les deux œuvres s’inscrivent dans une scénographie unique et évolutive.
Dans l’opéra bouffe écrit sur un livret de Sacha Guitry – dont le titre avait d’ailleurs été parodié en Société des Admirateurs de Madame Printemps, en écho aux déboires sentimentaux de l’écrivain –, le plateau est entouré de miroirs démultipliant les désirs des hommes qui montent vers ce cinquième étage où demeure cette femme entretenue vers laquelle convergent les convoitises et les fleurs, chacun des prétendants arrivant avec un bouquet d’une couleur différente. On ne manquera pas d’apprécier la vitalité d’une direction d’acteurs qui joue de complicité avec un texte émaillé de clins d’œil, à l’instar du dimanche, considéré comme «l’jour du bon vieux», justifiant ainsi la répartition des amants de la société anonyme. Sans jamais trahir cet acte intimiste vers le spectaculaire, la présente conception en restitue la vitalité théâtrale originale, et peut s’appuyer sur des interprètes qui s’en montrent gourmands. Maniant la virtuosité vocale autant que les claquettes, Sophie Marin-Degor distille la séduction mutine de la femme seulement connue comme Elle. Laurent Deleuil ne sacrifie pas Henri Morin à une naïveté apparente. Lionel Peintre se glisse avec délectation dans les chuintements affectés du Grand Industriel, à l’évident appétit de respectabilité. Le Gros Commerçant offre à Antoine Normand une palette de saynètes où s’épanouit son irrésistible talent comique. Quant au Comte Agénor de Szchwyzki, Jean-Marie Frémeau en livre le charme désuet.
Avec Bernstein et Trouble in Tahiti, l’exubérance des costumes dessinés par Elisabeth de Sauverzac prend un tour plus minimaliste, parodiant çà et là un Robert Wilson, ainsi que l’illustrent les deux Boys tout en blanc à la gestuelle codifiée presque jusqu’au marbre. Au demeurant, le chatoiement des décors d’Elsa Ejchenrand, souligné par les lumières de Marc Delamézière, s’altère au diapason d’une esthétique plus épurée. On retrouve l’essentiel du plateau du premier ouvrage: Sophie Marin-Degor distille les blessures secrètes de Dinah, en contraste avec l’énergie du Sam de Laurent Deleuil. Antoine Normand et Lionel Peintre suivent sans ciller la métronomie des deux Boys, à laquelle se joint la Girl estimable de Pascale Sicaud-Beauchesnais. L’ensemble est emmené par la direction habile et nuancée de Jean-Yves Ossonce. A la tête de l’Orchestre symphonique Région Centre-Val de Loire-Tours, le chef français ménage les subtilités ironiques de la partition Beydts qui porte en filigrane l’esprit de Guitry, avec ses chaloupes rythmiques presque félines, tandis qu’il apprivoise sans pâlir la précision quasi horlogère de Bernstein, sans en négliger les écumes mélancoliques.
Gilles Charlassier
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