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Réhabilitation louable mais pas tout à fait aboutie Liège Opéra royal de Wallonie 04/10/2016 - et 12, 14, 16, 19 avril 2016 Daniel-François-Esprit Auber: Manon Lescaut Sumi Jo (Manon Lescaut), Wiard Witholt (Marquis d’Hérigny), Enrico Casari (Des Grieux), Roger Joakim (Lescaut), Sabine Conzen (Marguerite), Laura Balidemaj (Madame Bancelin), Denzil Delaere (Gervais), Patrick Delcour (Renaud)
Chœurs de l’Opéra royal de Wallonie, Pierre Iodice (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie, Cyril Englebert (direction)
Paul-Emile Fourny (mise en scène), Benoit Dugardyn (décors), Giovanna Fiorentini (costumes), Patrick Méeüs (lumières)
(© Lorraine Wauters/Opéra royal de Wallonie)
La vraie rareté de cette saison à Liège, la voici: Manon Lescaut (1856) de Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871). Prenant quelques libertés avec le roman de l’abbé Prévost, l’ouvrage invite à la comparaison avec les adaptations lyriques, plus tardives et mieux connues, de Massenet et Puccini. Un peu plus court, il accorde moins d’importance au chevalier Des Grieux, l’amant de Manon, présente, elle, dans presque tous les numéros. Marguerite, jeune femme pleine de bon sens et de compassion, constitue une invention judicieuse d’Eugène Scribe, de même que le Marquis d’Hérigny, épris de la belle ; Lescaut, le cousin, intervient en revanche dans les trois opéras. Habile et de belle facture, la musique adopte ce ton et ces teintes propres à l’opéra-comique. Si elle se déguste avec plaisir, l’œuvre ne tient pas longtemps en bouche : il ne faut pas s’attendre à y retrouver la profondeur et le souffle des contributions ultérieures.
L’Opéra royal de Wallonie a donc raison de programmer cet opéra tardif dans la carrière du compositeur mais la distribution ne se hisse pas totalement à la hauteur. Alors qu’il ne manque pas d’excellentes chanteuses francophones dans la génération montante, le rôle-titre revient à Sumi Jo, qui a interprété Zerlina dans Fra Diavolo, sur cette scène, il y a six ans. La voix manque de chair, de netteté, d’éclat, mais la soprano coréenne, qui s’aventure sans contrainte dans les aigus, rassure quant à l’agilité des vocalises et maîtrise l’évolution de la tessiture au troisième acte, qui implique un tempérament plus dramatique. Il faut toutefois s’accommoder d’un accent marqué et d’une prononciation négligeant les consonnes. La composition demeure, en outre, factice : si l’artiste crée l’illusion tant bien que mal, le charme de cette Manon n’agit que parcimonieusement.
Les deux autres rôles principaux suscitent également peu d’enthousiasme. Laborieuse et inégale, la voix de Wiard Witholt se voile trop souvent, le rôle du Marquis d’Hérigny appelant un grave et une puissance plus affirmés ; le chanteur, en outre, ne manifeste pas de familiarité avec la langue. Le joli timbre d’Enrico Casari et le soin que ce dernier porte au legato ne masquent pas la modestie des moyens, ce Des Grieux ne s’assortissant pas naturellement avec cette Manon. Roger Joakim phrase, lui, avec prestance et déclame avec précision. Entendre au moins un interprète parmi les hommes un tant soit peu scrupuleux des canons du chant français constitue presque un soulagement. Marguerite adorable, Sabine Conzen le rejoint sur ce point : un timbre délicieux, un style impeccable et, surtout, de la fraîcheur à revendre. Parmi les rôles secondaires, émergent la Madame Bancelin de Laura Balidemaj et le Renaud de Patrick Delcour, qui imposent leur personnage avec verve. Le bilan vocal demeure donc en-deçà de ce qui s’accomplit aujourd’hui, sous l’impulsion, notamment, du Palazzetto Bru Zane : un rendez-vous manqué compte tenu du vivier actuel de très bons chanteurs d’expression française dans lequel il aurait fallu puiser. Chacun a dû cependant s’approprier, dans les temps impartis, un rôle qu’il ne réendossera pas de sitôt. L’effort mérite, tout de même, d’être salué.
Heureusement, la direction de Cyril Englebert rend ses lettres de noblesse à la musique. Convaincu de ses mérites, le chef lui imprime de l’élan, de la précision, de la légèreté. Les cordes pourraient scintiller davantage mais les bois exhalent toutes leurs saveurs grâce à la netteté de la mise en place. Paul-Emile Fourny ne développe aucune idée originale, ni même audacieuse, malgré le dévoilement discret d’un sein parmi les filles de mœurs légères, mais le concept trouve facilement sa justification, en dépit de la banalité de la direction d’acteur. Une bibliothèque d’un collège huppé se dévoile durant l’Ouverture, avant que ne surgissent les personnages en costumes d’époque. A la fin, une étudiante remet au bibliothécaire le livre racontant l’histoire de Manon Lescaut et du Chevalier Des Grieux. Un gigantesque ouvrage ouvert sur la carte de la Louisiane figure ainsi l’ultime et belle image de ce spectacle, réhabilitation louable mais pas tout à fait aboutie d’une œuvre délicieuse.
Le spectacle en intégralité sur le site Culturebox:
Sébastien Foucart
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