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Beethoven au Champ-de-Mars Baden-Baden Festspielhaus 03/21/2016 - et le 27 mars 2016 Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour piano n° 22 en mi bémol majeur, K. 482
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 9, opus 125 Mitsuko Uchida (piano), Genia Kühmeier (soprano), Sarah Connolly (mezzo-soprano), Steve Davislim (ténor), Florian Boesch (baryton)
Prazský filharmonický sbor, Berliner Philharmoniker, Sir Simon Rattle (direction)
S. Rattle, M. Uchida (© Monika Rittershaus)
Au cours de cette quatrième édition badoise du Festival de Pâques, les forces de l’Orchestre philharmonique de Berlin ont été largement monopolisées par quatre représentations du Tristan et Isolde de Wagner. Des soirées de rêve éveillé, tant la splendeur des cordes et la sûreté des cuivres y ont entretenu un constat état de transe hypnotique, sous la direction d’un Simon Rattle particulièrement inspiré. Rarement les sortilèges de l’écriture wagnérienne auront paru aussi subtils voire intoxicants. Un magnifique travail en fosse mais aussi une distribution où aucune voix ne démérite : Tristan élégamment chanté de Stuart Skelton, dépourvu d’héroïsme brutal, Isolde convaincante et naturelle d’Eva-Maria Westbroek, excellents seconds plans... Avec en prime les décors de Boris Kudlicka dont les modifications entretiennent un habile suspense, somptueuses variations de surfaces noires et d’éclairages rasants, ponctuées de projections vidéo poétiquement maniées. On pourra revoir ailleurs cette production pragmatique, qui ne cherche pas à extirper les rôles principaux du statisme inhérent à leur chant et préfère renouveler l’intérêt scénique en faisant varier le contexte autour d’eux (dans Tristan, c’est de loin la meilleure solution !), puisqu’elle sera reprise ultérieurement à Varsovie, Pékin et au Metropolitan de New York. Cela dit, pour s’immerger dans l’incroyable suavité du Wagner de Rattle et Berlin, c’est bien ici, au Festspielhaus de Baden-Baden, qu’il fallait se rendre.
Le problème de cette résidence annuelle des berlinois à Baden-Baden est que la lourdeur du travail sur la production d’opéra peut y affecter le potentiel de l’orchestre en concert. A fortiori maintenant que le nombre de représentations est passé de deux (quand le Festival de Pâques se tenait encore à Salzbourg) à trois voire quatre. Le temps disponible pour raccords et répétitions se réduit dangereusement et il faut compter sur des acquis capitalisés parfois des mois à l’avance. Clairement, pour ce concert-ci (le concert de trop ?), on a misé à l'excès sur la facilité présumée de l’orchestre à gérer son fonds de roulement.
Pour le Vingt-deuxième Concerto pour piano de Mozart, Simon Rattle expérimente un dispositif particulier, mise en valeur ostensible des bois, placés juste derrière le piano, ce qui rejette les cordes de part et d’autre. Quand on peut aligner un Emmanuel Pahud à la flûte et un Andreas Ottensamer à la clarinette, c’est évidemment tentant, d’autant que ce concerto accorde à la petite harmonie un rôle particulièrement important, comme dans une « symphonie concertante ». Mais si les bois devisent avec élégance, leur conciliabule avec les cordes reste approximatif, embardées de synchronisation que la direction de Rattle, par ailleurs plus allusive que précise, semble renoncer d’avance à contrôler. Et que ces imprécisions, que l’acoustique transparente du Festspielhaus souligne sans pitié, se perpétuent même après quelques minutes de rodage ne laisse pas d’étonner. Nébuleux aussi, le jeu de la pianiste japonaise Mitsuko Uchida, gentiment fluide mais dépourvu de structure au point d’en paraître insignifiant : les doigts balayent le clavier alternativement de bas en haut et de haut en bas mais l’absence d’appuis plus marqués à l’intérieur des traits donne surtout l’impression d’un discours qui part de nulle part et n’arrive nulle part. De jolis détails un peu partout, mais quand même l’impression tenace d’un Mozart expédié à la va-vite, sans tonus ni vertèbres.
La Neuvième Symphonie de Beethoven, dont on attendait dès lors beaucoup qu'elle nous réconcilie avec ce concert, laisse elle aussi perplexe. Beaucoup de monde sur le plateau, y compris une profusion de vents, ce qui modifie les équilibres habituels. Rattle se démarque des lectures traditionnelles, tente d’expérimenter des alliages de timbres nouveaux : davantage d’air circule, les attaques cultivent quelque chose d’émacié, d’humainement douloureux. Des effluves de Fidelio passent, l’ambiance générale est ostensiblement torturée, comme s’il s’agissait de resituer cette symphonie dans une perspective historique effectivement troublée, période de révolutions, de guerres, de répressions...
Dans cette conception, la Neuvième devient une bruyante musique de plein air, qui se terminerait par une sorte d’hommage tapageur à l’Etre suprême : un coup d’éclat à placer, parmi d’autres sur la frise historique d’une période troublée, entre par exemple la Symphonie à 17 parties de Gossec et la Symphonie funèbre et triomphale de Berlioz. Cette mise en perspective est pertinente mais on peut aussi trouver qu’elle amoindrit le propos, ramène la structure de cette symphonie à une simple succession d’anecdotes narratives. La scansion du Scherzo, ponctuée par des timbales bien laides de son, atteint de tels degrés de distension que le discours n’intéresse plus et ses reprises ennuient. De même que l’Adagio tombe dans l’ornière de l’exacerbation du détail au point de ne plus émouvoir que par instants. Le thème de l’Hymne à la joie commence aux cordes graves tellement pianissimo qu’on le devine davantage qu’on ne l’entend : là aussi, au delà de la performance technique, était-ce bien nécessaire, d’autant plus que la suite, vociférée par une masse chorale d’une robuste santé, tourne en revanche plutôt à la musique de foire. Les solistes, assis à la droite du chef (ce qui peut occasionner quelques décalages, heureusement vite rattrapés), sauvent la mise dans cette dernière partie, grâce à l’homogénéité de quatre timbres bien accordés, mais ne parviennent pas à compenser de bien clinquantes et laides choses qui surgissent d’un peu partout.
Curieux résultat, de la part d’une phalange à aussi fort potentiel. Expérimenter des voies nouvelles, déranger un orchestre dans ses habitudes peut s’avérer passionnant, mais en l’absence d’un véritable travail de fond sur le sujet cela peut aussi provoquer des frustrations, à la mesure de trop fortes attentes. Cris d’enthousiasme de la salle à l’issue : apparemment ces vacillements expérimentaux n’ont pas dérangé tant de monde que cela...
Laurent Barthel
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