Back
Un comique teinté d’amertume Bruxelles Palais de la Monnaie 03/24/2016 - et 25, 26, 29, 30 mars, 1er, 2, 3*, 5, 6 avril 2016 Hector Berlioz: Béatrice et Bénédict Frédéric Caton (Don Pedro), Etienne Dupuis (Claudio), Julien Dran/Sébastien Droy* (Bénédict), Pierre Barrat (Léonato), Anne-Catherine Gillet/Sophie Karthäuser* (Héro), Stéphanie d’Oustrac/Michèle Losier* (Béatrice), Eve-Maud Hubeaux (Ursule), Lionel Lhote (Somarone), Sébastien Dutrieux (Don Juan)
Chœurs de la Monnaie, Martino Faggiani (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Jérémie Rhorer/Samuel Jean* (direction)
Richard Brunel (mise en scène), Anouk Dell’Aiera (décors), Claire Risterucci (costumes), Laurent Castaingt (lumières)
(© Bernd Uhlig)
En travaux, la Monnaie prend désormais ses quartiers au Palais Opéra, chapiteau moderne et confortable installé à Tour et Taxis. Les dimensions gigantesques de cet ancien site industriel, au potentiel de reconversion exceptionnel, ainsi que sa situation, près du canal, mais relativement loin à pied du centre-ville, excluent de s’y rendre en toute dernière minute, même en transports en commun, au risque de se perdre dans ce quartier de la capitale ou de ne pas arriver à temps. Une fois passé le sas de sécurité, où chacun est minutieusement contrôlé, même les personnes du quatrième âge les plus inoffensives, l’accueil et les commodités s’avèrent relativement plaisants. La place ne manque pas, ni dans le hall, ni dans la salle, où se retrouve une partie des anciens sièges du théâtre. L’acoustique ne présente évidemment pas de grandes qualités, mais elle convient pour une solution de repli, bien qu’il faille s’accommoder de bruits ambiants, ceux d’enfants jouant sur le terrain situé à proximité, ou, plus gênant, d’avions survolant le site ; suite aux attentats du 22 mars, les activités de l’aéroport reprennent très progressivement depuis ce dimanche.
Cette période de transition, en principe jusqu’en novembre, débute avec une version revue et corrigée de Béatrice et Bénédict (1862). Pour résoudre les déficiences reconnues d’un livret daté, le metteur en scène Richard Brunel et Catherine Ailloud-Nicolas ont réécrit les dialogues parlés pour mieux les rapprocher de la pièce de Shakespeare, Beaucoup de bruit pour rien, dont Berlioz s’est inspiré pour son opéra-comique ; quatre numéros ont, en outre, été déplacés. L’intention consiste, notamment, à accroître l’importance de Somarone, à l’origine maitre de chapelle caricatural, ici personnage calomniateur, qui sabote le mariage de Claudio et Héro. Cette refonte relativise la dimension comique de cet ouvrage, teinté, par conséquent, d’amertume.
Par l’éloquence et le soin porté à la prononciation, les passages parlés respectent la nature de l’opéra-comique mais le souffle, quasiment jamais porté haut, de toute manière, retombe presque systématiquement dans les parties chantées. Ce spectacle, qui dégage de la gravité mais peu d’émotion, suscite un intérêt relatif, la direction d’acteur peinant à conférer du relief aux personnages. Il y a, pourtant, des idées à sauver : ces portraits de soldats disparus, ces papillons qui volent au-dessus de la scène, ces armoires qui se renversent pour former une estrade, ces arbustes qui traversent le plafond éventré, Héro qui arrive suspendue en robe de mariée. Le décor, cependant, ne séduit guère : un mélange d’intérieur d’église et de salle de fête, banalement éclairé. Compte tenu des circonstances, la Monnaie a tenu à rassurer le public de la présence normale, sur scène, d’interprètes en costumes militaires – ils se dévêtiront pour se laver, en caleçon, dans des bassines. Sur le papier, le projet suscitait l’enthousiasme, en réalité, il s’agit de la seule véritable déception, jusqu’à présent, de cette saison « hors les murs ». Inutile de le nier : cet opéra si délicat s’épanouirait mieux dans l’écrin du théâtre. Peut-être faut-il, d’ailleurs, reprendre ce spectacle après la rénovation, dans ce lieu plus opportun, pour tenter de l’apprécier à sa juste valeur.
La musique permet, en tout cas, de passer un bon moment. Exprimant tout juste la confusion des passions et le tumulte des relations, la distribution, aux voix bien appariées, agite la bannière du beau chant français. Voix épanouie, timbre velouté, vibrato contrôlé, Michèle Losier convainc en Béatrice mais la mezzo-soprano canadienne n’affiche pas le tempérament enflammé d’une Stéphanie d’Oustrac, avec qui elle alterne. Sophie Karthäuser partage le rôle de Héro avec Anne-Catherine Gillet : fidèle à elle-même, elle concilie maîtrise vocale et engagement théâtral mais la soprano, qui manque de fraîcheur, et même de charme, a déjà laissé naguère une impression plus prégnante. Eve-Maud Hubeaux rayonne en Ursule : cette jeune chanteuse a une voix valant de l’or et manifeste un sens remarquable du phrasé et de la nuance.
Berlioz n’a pas autant gâté les hommes en airs. Sébastien Droy et Etienne Dupuis, respectivement Bénédict et Claudio, se profilent, malgré tout, en excellent stylistes, au fait des canons du chant français, alliant séduction du timbre, élégance de la ligne et ductilité de l’émission, qualités tout particulièrement appréciées chez l’interprète du rôle-titre masculin. Lionel Lhote a trop peu à chanter en Somarone pour illustrer l’étendue de sa science mais il se plie, avec crédibilité, aux exigences du metteur en scène. Alors que Frédéric Caton ne laisse aucun souvenir en Don Pedro, un rôle secondaire, à sa décharge, le vétéran du théâtre français Pierre Barrat incarne un Léonato parfait. Les choristes, quant à eux, ne laissent rien à désirer dans les nombreuses pages que le compositeur leur consacre. Alternant dans la fosse avec Jérémie Rhorer, Samuel Jean imprime de l’élan et de la fluidité à cette musique, ce qu’il lui faut d’élégance et de respiration, aussi, mais le pouvoir suggestif de l’ultime ouvrage lyrique de Berlioz demeure ténu. L’orchestre, concerné et précis, assez séduisant, finalement, comble partiellement le déficit de vitalité observé sur scène.
Le site de Tour et Taxis
Sébastien Foucart
|