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Mozart version fait divers

Nantes
Théâtre Graslin
03/04/2016 -  et 6, 8, 10, 12 mars (Nantes), 4, 6, 8 mai (Angers) 2016
Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni, K. 527
John Chest (Don Giovanni), Andrew Greenan (Le Commandeur), Ruben Drole (Leporello), Gabrielle Philiponet (Donna Anna), Philippe Talbot (Don Ottavio), Rinat Shaham (Donna Elvira), Ross Ramgobin (Masetto), Elodie Kimmel (Zerlina)
Chœur d’Angers Nantes Opéra, Xavier Ribes (chef de chœur), Orchestre national des Pays de la Loire, Mark Shanahan (direction musicale)
Patrice Caurier et Moshe Leiser (mise en scène), Christian Fenouillat (décor), Agostino Cavalca (costumes), Christophe Forey (lumière)


(© Jef Rabillon)


Entre la comédie quasi réaliste des Noces de Figaro et l’abstraction dramatique de Così fan tutte, le dramma giocoso qu’est Don Giovanni peut se situer dans l’entre-deux d’une fable qui n’hésite pas à se nourrir des genres musicaux disponibles à l’époque de Mozart. L’ambivalence, sinon l’ambiguïté, qui innerve l’ouvrage rend parfois difficile les choix herméneutiques. Fidèle à l’Opéra de Nantes et Angers où il revient pour la treizième fois, le désormais incontournable duo des scènes lyriques, Patrice Caurier et Moshe Leiser, a choisi une lecture quasi naturaliste, flirtant avec le fait divers, éludant le surnaturel au profit d’un presque ordinaire contemporain que ne démentiront pas les costumes imaginées par Agostino Cavalva, le tout rehaussé par les lumières de Christophe Forey.


La façade d’immeuble résidentiel dessinée par Christian Fenouillat, sur lequel se lève le rideau, se fait le théâtre du meurtre du père de Donna Anna, venu porter secours à sa fille abusée par le libertin. En guise de coup d’épée, le vieil homme aura la tête fracassée contre le mur, comme dans une vulgaire bataille de banlieue. La fête se nourrit de masques et de victuailles ramenés dans un caddie de supermarché sans doute low cost, avant un ultime dîner sur table de camping et sandwiches en guise de mets fins, tandis que le cimetière est entouré de grillages comme un terrain de sport. Si la statue du Commandeur daigne sortir du caveau et sacrifier à l’artifice, ce n’est que pour l’apparence d’un zombie à la main verdâtre et le visage encore tuméfié de sa blessure fatale, qui n’aura aucune responsabilité dans la mort de Don Giovanni, étouffé par un Leporello lassé des humiliations d’un maître qui l’abuse sexuellement, certes avec consentement si l’on en croit la récurrence complice et copulatrice. Sans verser dans une crudité de mauvais aloi, les élans de la libido du chevalier sur Zerlina devancent le déroulement logique de l’intrigue et la révolte de la jeune mariée à la fin du premier acte, confirmant que l’érotisme ne demeure pas confiné ici dans l’allusion. La descente aux enfers du héros, ponctuée de lignes de coke, s’achève, sans surprise, dans les seringues. Une telle conception, aux options exégétiques réduites et passablement éprouvées par ailleurs, s’appuie sur une direction d’acteurs que d’aucuns applaudissent comme resserrée, et qui, pour le moins, participe de l’évidente cohérence du spectacle.


Le plateau vocal ne néglige pas la jeunesse. A rebours des distributions qui jumellent les timbres de Don Giovanni et de son valet, John Chest fait valoir une clarté agile non dénuée de lyrisme qui soutient l’addiction à la séduction du personnage et contraste avec l’ancrage de Leporello dans la partie inférieure de sa tessiture, quitte à manquer parfois de luminosité: la dissemblance aiguise une convention de théâtralité dans le déguisement que la scénographie aurait pu mettre davantage à profit. Velours aux ressources de nuances indéniables, Gabrielle Philiponet affirme une vibrante Donna Anna, qui n’hésite pas à accuser les poses tragiques, et les aigus ne subordonnent jamais la chair de la ligne vocale à l’éclat des notes. Souvent pâlement incarné, Don Ottavio bénéficie de l’engagement audible de Philippe Talbot, à défaut d’une élégance stylistique sans reproche. Rinat Shaham s’identifie à la vulnérabilité de Donna Elvira, tandis que Zerlina se console sur la fraîcheur d’Elodie Kimmel. Ross Ramgobin n’ignore point le tempérament fruste de Masetto, quand Andrew Greenan préserve le Commandeur des usuels charbons et stigmates de l’âge. Outre les chœurs, préparés par Xavier Ribes, l’Orchestre national des Pays de la Loire restituent avant tout, sous la baguette attentive aux chanteurs de Mark Shanahan, le camaïeu expressif de l’instrumentation, plutôt qu’une agressivité d’attaque désormais inscrite dans nos oreilles par les baroqueux: les couleurs l’emportent sur la vigueur, et les textures sur l’urgence dramatique. Contredisant la devise implicite de l’ouvrage, le plaisir sonore demande ici à ne pas être précipité.



Gilles Charlassier

 

 

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