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Corigliano s’amuse

Strasbourg
Palais de la musique et des congrès
02/11/2016 -  et 12 février 2016
John Corigliano : Promenade Overture
George Gershwin : Concerto pour piano en fa majeur
Serge Prokofiev : Roméo et Juliette: Suites n° 1, opus 64 bis, n° 2, opus 64 ter, et n° 3, opus 101 (extraits)

Jean-Yves Thibaudet (piano)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)


J.-Y. Thibaudet ( © Cindy Yamanaka)


Beaucoup d’inventivité et de bonnes idées dans l’Ouverture Promenade de John Corigliano, composée pour le Boston Pops Orchestra en 1981. Toute une mise en scène est incluse dans cette pièce : en fait ni plus ni moins qu’une Symphonie des Adieux organisée à rebours, d’un podium quasi vide au début jusqu’à un espace complètement rempli à la fin, invasion progressive qui s’effectue d’ailleurs sur le même thème musical que celui utilisé par Haydn à la fin de sa symphonie mais joué... à l’envers ! Timbales et grosse caisse ponctuent l’entrée du chef, qui prie les percussionnistes de ranger leur journal afin que l’on puisse commencer. Arrivée ensuite de l’orchestre par vagues successives, en files indiennes et tout en jouant déjà, par pupitres, en commençant par les flûtes dans un esprit très «marching band» suivies par la petite harmonie, les violoncelles, les violons 1 et 2, etc. Les entrées s’effectuent aussi par la salle, ce qui n’est déjà pas facile quand on a des violoncelles à porter, et a fortiori quand des spectateurs retardataires traînent encore dans les allées. Occasion inespérée de rappeler qu’au cours d’un concert classique il est souhaitable de ne pas laisser entrer, une fois l’exécution d’une œuvre commencée, des cohortes d’importuns qui ne se gêneront d’ailleurs aucunement pour déranger des rangées entières afin de gagner leur place assise... une évidence qui semble perdue de vue en ce moment à Strasbourg ! Retournons à notre sujet pour signaler, par delà beaucoup d’effets scéniques amusants (voire hilarants : l’entrée in extremis du tuba, très en retard, balbutiant ses borborygmes comme autant d’excuses confuses), les réelles qualités d’écriture de cette Ouverture Promenade bourrée de clins d’œil. Une belle découverte et une excellente entrée en matière pour un concert symphonique. John Corigliano restera à l’honneur au Palais de la musique cette saison puisque Elina Vähälä et Jeffrey Tate y interprèteront les 3 et 4 mars prochains son concerto The Red Violin: une autre partition très attractive, d’une modernité efficacement dépourvue d’acrimonie dissuasive.


Retour ensuite de Jean-Yves Thibaudet, toujours très attendu à Strasbourg, pour le Concerto en fa de Georges Gershwin. Une œuvre d’équilibration problématique du fait d’un esprit hybride que l’on qualifie faute de mieux de « jazz symphonique ». Le terme paraît des plus mal choisis, et fait d’ailleurs se gausser depuis des générations les vrais spécialistes du jazz, mais il a conquis malgré tout un certain droit d’usage. Thibaudet choisit de cultiver dans sa partie une certaine impression de liberté rythmique mais le résultat paraît vite relativement quadrillé, obtenu grâce à un travail de désynchronisation des mains au dixième de seconde dont la précision ne déparerait pas dans une exécution de la Turangalîla-Symphonie de Messiaen. Les parentés avec le Concerto en sol de Ravel, de quelques années postérieur, apparaissent aussi avec encore plus d’évidence que d’habitude, surtout dans le dernier mouvement. Beaucoup d’éléments de blues, certes dans tout cela, mais rigidifiés et presque incongrus, du moins si l’on s’obstine à les prendre davantage en considération que ce qu’ils sont : de simples matériaux de construction particuliers et non cet état de grâce, ce swing indescriptible constamment recherché par les vrais musiciens de jazz. Thibaudet, en dialogue avec un Orchestre philharmonique de Strasbourg parfois déchaîné au point de rendre le piano inaudible dans certaines zones de la salle, dispose en tout cas d’un potentiel technique extraordinaire et se tire de l’embuscade avec les honneurs. Quant au public il ne boude pas son plaisir devant ce concerto inclassable mais terriblement séduisant, riche de multiples effets accrocheurs et d’un évident sens du spectacle.


Bis en total contraste : l’Intermezzo opus 118 n° 2 de Brahms, superbement « drivé » (l’anglicisme coule de source, vu le contexte) par un Thibaudet à la fois rigoureux et subtilement romantique (merveilleuse section médiane, d’une idéale fluidité...).


En seconde partie, un libre parcours dans le ballet Roméo et Juliette de Prokofiev : extraits bien sélectionnés et agencés, dans un ordre qui s’offre même le luxe de terminer par « Roméo au tombeau de Juliette », pièce relativement sobre et dépourvue d’orages de décibels. Mais les moments de saturation attendus sont bien présents auparavant, notamment dans l’indispensable « Mort de Tybalt », où l’orchestre peut déchaîner ses cuivres avec une très belle sûreté (partagée par tous les pupitres, y compris des cors très exposés). Marko Letonja conduit l’ensemble avec un engagement physique impressionnant qui lui permet d’obtenir des effets de perpétuelle avancée, voire d’implacabilité, véritablement souverains. Très belle époque, vraiment, que cette collaboration actuelle de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg avec son chef, qui nous vaut un chapelet d’exécutions passionnantes, de concert en concert. On ne saurait trop conseiller de ne pas les manquer !



Laurent Barthel

 

 

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