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Ivan Fedele et Fausto Romitelli: deux valeurs sûres de la musique contemporaine italienne pour clore le festival Présences 2016

Paris
Maison de la radio
02/12/2016 -  et 14* février 2016

12 février, Grand Auditorium
Gianvincenzo Cresta : Hinneni - Alle madri rifugiate (création)
Ivan Fedele : Ruah – Lexikon II (création)
Sebastian Rivas : Esono Infinito (la scomparsa delle luciole) (création)

Florence Person (alto), Nicolas Vaude (récitant), Mario Caroli (flûte)
Orchestre philharmonique de Radio France, Pascal Rophé (direction)


P. Rophé (© Benjamin Ealovega)


Pour ce deuxième concert de l’Orchestre Philharmonique de Radio France proposé dans le cadre du festival Présences (voir par ailleurs ici), deux créations se font l’écho de la tragédie vécue par les réfugiés aux portes de l’Europe, tandis qu’Ivan Fedele enrichit sa série Lexikon pour orchestre.


Hinneni - Alle madre rifugiate de Gianvincenzo Cresta (né en 1968) prend pour origine un écrit d’Erri di Luca. Tandis que Nicolas Vaude en récite la traduction française, la soprano vocalise selon un panel de syllabes, «à la manière d’un nigoun». Que ne l’a-t-on placée devant la scène! En dépit de textures éthérées, Florence Person peine à franchir le mur des instruments. Si le texte évoque la vie quotidienne des réfugiés avec une certaine sobriété, les interludes confiés à l’orchestre y apportent une tension non exempte de lyrisme dans les unissons des cordes interrompus par les irruptions fracassantes du marimba et des timbales. Sans doute a-t-il manqué à la partie de récitant une notation rythmique – à l’instar du Survivant de Varsovie ou de l’Ode à Napoléon Bonaparte de Schönberg – afin de conjurer un je-ne-sais-quoi d’artificiel dans la mise en forme.


Bien qu’ayant également pour origine le drame des réfugiés, l’univers sonore de Sebastian Rivas (né en 1975) est tout autre, l’exode à travers la Méditerranée apparaissant ici comme un prétexte à une déferlante maritime telle que Rimski-Korsakov (Shéhérazade), Debussy (La Mer) ou Sibelius (Les Océanides) nous en ont donné d’illustres modèles. Le vocabulaire de l’Argentin n’est pas sans rappeler celui d’un Ivo Malec: le travail en profondeur sur les masses comme le jusant des crescendos et decrescendos engouffrent de micro-événements surfant sur la crête du son, tels de fragiles bateaux de fortune. Le rôle tenu par les voix parlées remixées (Pasolini et Didi Huberman, nous dit le programme) apparaît bien superflu par rapport à l’invention orchestrale. Du coup, la revendication sociale s’efface au profit des éléments en folie dont Sebastian Rivas, à la suite des exemples précités, interroge la superbe violence.


La création française de Ruah (2002) d’Ivan Fedele (né en 1953) restera le grand moment de la soirée. Ce concerto pour flûte (le troisième de son catalogue) intègre à sa poétique la respiration, le «souffle vital» qui, condition sine qua non à l’utilisation de l’instrument, engendre à son tour la progression organique de la composition. A l’inverse d’autres œuvres concertantes de Fedele où l’orchestre se cantonne à un rôle de résonances, celui de Ruah génère une matrice de figures dessinées par le soliste, entre motifs incantatoires et traces ténues de couleurs. Envoûtante, cette pièce témoigne en outre d’un remarquable sens mélodique, renforcé par une orchestration (avec un piano particulièrement émancipé) qui n’exclut pas les doublures entre les instruments. Mario Caroli sublime à son tour la partition, tirant, de sa flûte en platine, sons filés et convulsives arabesques. Pascal Rophé, quant à lui, la connaît bien pour l’avoir enregistrée dans le cadre d’un disque monographique consacré au compositeur (Stradivarius); la fiabilité de son bras permet aux membres du «Philhar» de donner le meilleur d’eux-mêmes.


Est-ce parce qu’on n’est resté sous le charme de Ruah? Toujours est-il que Lexikon II, donné ici en création mondiale, ne dispense pas les mêmes sortilèges. Fedele propose une «réflexion [...] sur la nature du son simple et complexe» à travers trois mouvements intitulés «Harmonique», «Inharmonique» et «Saturé». La progression chaotique laisse à penser qu’il est allé à l’encontre de sa nature lyrique, avec une main plus lourde dans son maniement de l’orchestre, les forces en présence comptant notamment deux guitares électriques et un échantillonneur. Une écoute répétée de cette œuvre s’impose afin d’en saisir les subtilités.


Le site de Gianvincenzo Cresta
Le site de Sebastian Rivas


14 février, Grand Auditorium
Carlo Gesualdo : Cinquième Livre de Madrigaux (extraits)
Fausto Romitelli : Professor Bad Trip

Léa Trommenschlager (soprano), Giani Caserotto (guitare électrique), Simon Guidicelli (contrebasse), Les Francs bassons
Ensemble Le Balcon, Maxime Pascal (direction)


M. Pascal (© Guillaume de Sardes)


Le Balcon nous a habitués aux expériences insolites: ce concert de clôture ne fait pas exception en couplant les délires mortifères de Gesualdo aux psychédéliques «leçons» du Professor Bad Trip, signées Fausto Romitelli (1963-2004).


Si les notes de programme ne précisent pas l’auteur de l’arrangement, on a tout lieu de penser qu’il est de la main même du chef d’orchestre: voici des extraits du Cinquième Livre de Madrigaux de Gesualdo pour soprano, bassons, contrebasse... et guitare électrique. Ceux qui sont tentés de crier au sacrilège sur le papier se ravisent, car voici une expérience auditive somme toute fascinante. Là où Stravinsky, dans ses Monumentum pro Gesualdo di Venosa ad CD annum: three madrigals recomposed for instruments (1960), proposait une orchestration de trois madrigaux, le présent arrangement préserve la sémantique des poèmes par le truchement d’une soprano (superbe Léa Trommenschlager). Les quatre autres voix sont ventilées entre trois bassons et une contrebasse, agrémentées des commentaires énigmatiques de la guitare électrique (le théorbe d’aujourd’hui). Curieusement – ce qui incline à croire que le résultat ne soit pas entièrement concluant –, les entrechoquements des harmonies larvées de chromatismes se révèlent moins abrasifs avec les bassons qu’avec les voix, ces dernières offrant une ductilité expressive propice à l’exacerbation des sentiments refusée aux timbres feutrés des instruments à anche double. Ces madrigaux sonnent, partant, moins «modernes». N’importe, l’expérience valait d’être tentée, et les musiciens y ont mis tout leur talent.


A l’instar d’In C de Terry Riley pour le minimalisme, des Espaces acoustiques de Gérard Grisey pour le spectralisme, Professor Bad Trip présente toutes les caractéristiques de ces «œuvres coup de poing» qui inaugurent une nouvelle esthétique: le jusqu’auboutisme de la démarche va de pair avec un refus délibéré de séduction. Romitelli signait avec cette pièce pour ensemble de 1998-2000 le coup d’envoi du courant saturationniste dans lequel allaient s’inscrire, entre autres, un Raphaël Cendo et un Franck Bedrossian. «Ce cycle s’inspire de la lecture des œuvres qu’Henri Michaux a écrites à la suite de son expérience avec les drogues et les hallucinogènes.» A L’Infini turbulent du poète répond celui du compositeur italien dans ces trois «leçons». L’instrumentarium (flûte, clarinette, trompette, percussions, guitare électrique, basse électrique, piano – et synthétiseur –, violon, alto et violoncelle) ne rend qu’une faible idée du magma sonore qui en résulte. Romitelli a réussi un tour de force: intégrer l’énergie intarissable des musiques urbaines, les transes techno des noctambules à une musique des plus composées. On admire le geste tantôt souple, tantôt contorsionné mais toujours éloquent pour ses musiciens de Maxime Pascal. Sa génération d’interprètes a parfaitement intégré cette grammaire musicale qui, quinze ans après sa création, ne laisse pas de surprendre. Acclamation bien méritée du public, avec une mention spéciale aux cadences psychédéliques du violoncelliste Askar Ishangaliyev.



Jérémie Bigorie

 

 

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