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Entre spectralisme et saturationnisme Paris Maison de la radio 02/08/2016 - et 10* février 216
8 février, Studio 105
Aureliano Cattaneo : Insieme
Simone Movio : Logos II (création)
Luca Francesconi : Animus II – Charlie Chan
Fausto Romitelli : Domeniche alla pereferia dell’impero
Gérard Grisey : Vortex temporum I, II, III
mdi ensemble
S. Movio
Diffusé en direct sur France Musique depuis le Studio 105, le concert Présences de lundi soir sondait le répertoire chambriste en compagnie des musiciens de l’ensemble (milanais) mdi.
S’il est un œuvre qui a marqué durablement la jeune génération italienne, c’est bien celui de Gérard Grisey, en compagnie duquel la soirée s’achèvera. Durant ses études, Aureliano Cattaneo (né en 1974) suivit d’ailleurs les classes de maître du compositeur des emblématiques Espaces acoustiques, ce qu’atteste Insieme (2015), donné en création française. Ecrite pour flûte, clarinette, piano, violon, alto et violoncelle, la partition stipule que ces deux derniers soient accordés différemment, tel un clin d’œil à la scordatura baroque. Baroque, elle l’est dans son intarissable fantaisie, la profusion de ses arabesques et le ressassement méticuleux de petits motifs. Les six musiciens de l’ensemble mdi rendent parfaitement justice à cet univers sonore où point, par endroits, un humour que Franco Donatoni n’aurait pas désapprouvé.
Deux œuvres de Luca Francesconi (né en 1956) figurent au programme: la courte rhapsodie Charlie Chan (1990) pour alto solo, et le plus ambitieux Animus II (2007) pour alto et électronique, à la virtuosité plus débridée. Paulo Fumagalli y livre une sorte de combat tour à tour avec et contre son instrument. Sans doute aurait-il gagné à être raccourci, le travail fondé sur les «connexions vitales entre rythmes et couleurs» semblant se tarir en dépit de la (profuse) partie informatique.
Logos II (2015) de Simone Movio (né en 1978) rappelle les musiques d’insectes de Béla Bartók. Même s’il sollicite l’effectif le plus souvent dans sa totalité, le compositeur en tire des sonorités d’un grand raffinement, zébrées par de soudaines échappées virtuoses. Soudés par des clins d’œil complices quand ce n’est pas par un subreptice battement de mesures de la part de l’un d’eux, les musiciens sillonnent à travers les textures avec une dextérité féline.
Contrairement à ce qui était indiqué dans le programme, Domeniche alla pereferia dell’impero (2000) de Fausto Romitelli (1963-2004) fait bien usage de l’amplification. Sans elle, les matériaux des «sculptures sonores» – nourris d’influences rock – ne gicleraient pas à ce point aux oreilles, tels les coups de langue du Flatterzunge et autres effets bruitistes qui plongent l’auditeur dans une sorte de placenta sonore. Mais voici que la machine s’emballe dans le deuxième mouvement, fantasmagorique, avant l’engourdissement final.
Créés en 1996 par l’ensemble Recherche dirigé par Kwamé Ryan, les trois mouvements de Vortex temporum sont joués ici sans chef, ce qui en rend l’exécution assez périlleuse. En dépit de légers décalages, la performance des mdi force le respect dans ce maelstrom sonore d’une densité inédite eu égard à l’instrumentarium utilisé. Il faut citer la cadence particulièrement musclée du piano (I), la déploration (en descentes chromatiques) sur laquelle s’inscrivent des déclamations astringentes (II), «la métrique malmenée» qui donne lieu à un fascinant «dialogue de sourds» entre le piano et les autres instruments (III). Après le manifeste de la musique spectrale avec Les Espaces acoustiques (1974-1985), Gérard Grisey signait là une somme de sa dernière manière en même temps que l’un des ultimes chefs-d’œuvre du XXe siècle. Il faut remercier les musiciens de l’ensemble mdi d’avoir eu le courage de le programmer au terme d’un concert particulièrement dense aussi bien par ses exigences artistiques que par sa durée (quelque deux heures de musique).
Le site d’Aureliano Cattaneo
Le site de Simone Movio
Le site de l’Ensemble MDI
10 février, Studio 104
Clara Iannotta : Troglodyte Angels Clank By (création)
Aureliano Cattaneo : Trazos
Francesco Filidei : Canzone (création)
Francesca Verunelli : Déshabillage impossible (création)
Petra Hoffmann (soprano), Gianluca Littera (harmonica)
Ensemble 2e2m, Pierre Roullier (direction)
F. Filidei (© Philippe Stirnweiss)
L’Ensemble 2e2m prend le relais des MDI dans ce concert entièrement consacré à la jeune génération italienne avec, en prime, pas moins de trois créations mondiales.
Troglodyte Angels Clank By, de la jeune Clara Iannotta (né en 1983), se réfère aux mots de Dorothy Molloy – une source d’inspiration constante, ainsi qu’elle le confie au micro d’Arnaud Merlin. Tout de grincements, de sons saturés – contrariés, a-t-on envie de dire –, l’effectif amplifié semble ausculter l’intérieur même du corps de la poétesse irlandaise atteinte d’un cancer, objet de ses derniers écrits. Nos oreilles saignent, tant on avait jamais donné à entendre avec une semblable acuité la force vitale du corps moins dans ce qu’elle a d’expansif que de mortifère: le cœur bat toujours, mais à coups secs et meurtriers, comme un bélier perfide qui sape, du dedans, la forteresse.
En matière de musique contemporaine, l’indulgence est souvent de mise avec les interprètes, parfois sollicités de manière incongrue. Force est de constater que la soprano Petra Hoffmann, plutôt inhibée, n’a pas su véhiculer l’émotion dans Trazos d’Aureliano Cattaneo, une succession de miniatures fondées sur des textes espagnols d’origines diverses (Cervantès, Gongora...). Une Cathy Barberian hier, une Barbara Hannigan voire une Donatienne Michel-Dansac aujourd’hui, auraient compensé, par leur charisme et l’incandescence de leur verbe, l’absence dommageable des textes dans les notes de programme. Malgré l’ironie sous-jacente, les apostrophes ludiques des bois et les relents de musiques populaires, la demi-heure est longue.
C’est aussi le cas de Déshabillage impossible de Francesca Verunelli (née en 1979) qui, dépareillé du film de Méliès à l’origine de son inspiration, tourne un peu à vide. Le côté illustratif, parfois même «cartoon» de certains effets (vrombissements de la contrebasse, courses poursuites entre pupitres, roulements de caisse claire façon Till l’espiègle...) verse trop, hélas, dans l’anecdotique.
Une fois de plus, Francesco Filidei (né en 1973) s’affirme comme la personnalité la plus attachante. Sa création pour harmonica et ensemble est le fruit de sa complicité avec le musicien Gianlucca Littera. Elle n’a pourtant rien d’un simple catalogue d’effets : élégante, la partition favorise les bruits blancs des cordes, les scintillements de la harpe sur lesquels tombent, telles des gouttes de pluie, les pizzicatos. Les appels du vent, les gazouillis d’oiseaux (ceux de Respighi, pas de Messiaen) s’invitent à ce colloque nocturne – sobrement intitulé Canzone - où l’harmonica dispense un éventail de timbres venu d’un autre monde. Le seul reproche qu’on pourrait adresser à Filidei serait de manquer d’ambition (de confiance en soi ?). Mais c’est par la juste proportion des moyens employés qu’il peut s’enorgueillir de ne jamais se fourvoyer. Mieux : il sait voir grand dans de « petites choses », sans faire éclater le cadre fragile qui leur est assigné. Ouvrons donc les oreilles et guettons les prochaines créations défendues par l’ensemble 2e2m auprès duquel le compositeur est actuellement en résidence.
Le site de Clara Iannotta
Le site de Francesca Verunelli
Le site de Francesco Filidei
Le site de l’Ensemble 2e2m
Jérémie Bigorie
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