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Une recréation magistrale

Nancy
Opéra
02/04/2016 -  et 5, 7, 9, 10 (Nancy), 19, 20 (Versailles) février 2016
Luigi Rossi : Orfeo
Judith van Wanroij (Orfeo), Francesca Aspromonte (Euridice), Giuseppina Bridelli (Aristeo), Giulia Semenzato (Venere, Proserpina), Luigi de Donato (Augure, Plutone), Ray Chenez (Nutrice, Amore), Renato Dolcini (Satiro), Dominique Visse (Vecchia), Victor Torres (Endimione, Caronte), Marc Mauillon (Momo), David Tricou (Apollo), Alicia Amo, Violaine Le Chenadec, Lucile Richardot (Les trois Grâces), Guillaume Gutiérrez, Olivier Coiffet, Virgile Ancely (Les trois Parques), Jennifer Gohier (figuration)
Chœur de l’Ensemble Pygmalion, Ensemble Pygmalion, Raphaël Pichon (direction musicale)
Jetske Mijnssen (mise en scène), Ben Baur (décors), Gideon Davey (costumes), Bernd Purkrabek (lumières)


(© Opéra national de Lorraine)


C’était un projet que Raphaël Pichon rêvait de concrétiser, depuis qu’il avait découvert, encore étudiant, la partition de l’Orfeo de Rossi. Grâce à Laurent Spielmann, et avec le soutien du Centre de musique baroque de Versailles, il est devenu réalité à Nancy en ce 4 février 2016. Premier véritable opéra créé en France, en 1647, à l’instigation de Mazarin, l’ouvrage avait ensuite disparu, faute d’une tradition de copie comme il en existait en Italie, déjà familière de ce genre nouveau – c’est à cela que l’on doit la préservation des Monteverdi et Cavalli par exemple – jusqu’à ce qu’on en retrouve la trace – simplifiée – à la fin du dix-neuvième siècle dans la bibliothèque Chigi à Rome, grâce, entre autres à Romain Rolland. La première scénique moderne, à Milan, a dû attendre 1984, avant, six ans plus tard, le seul enregistrement disponible sur le marché, par William Christie, et frappé aujourd’hui d’une fièvre spéculative.


L’entreprise de recréation du chef français tout juste trentenaire ne se contente de reprendre le travail de prédécesseurs, à une époque où la connaissance musicologique du Grand Siècle ne disposait pas de la maîtrise stylistique désormais disponible. La patiente reconstitution de Raphaël Pichon et Miguel Henry, pour la présente production, élague les éléments circonstanciels, pour se concentrer sur la versatilité théâtrale originale, héritée des maîtres vénitiens – on songera avec à-propos au Couronnement de Poppée de Monteverdi – où le rôle du jaloux Aristée et la complexité humaine des personnages, agrémentée de caractères haut en couleurs, se trouvent développés d’une manière originale, loin de l’augurale fable en musique ou du poème lyrique de Gluck, sans négliger l’épure d’une fin sans triomphe. Si l’Ensemble Pygmalion restitue à merveille l’entremêlement de couleurs françaises à des fragrances plus transalpines, c’est d’abord l’exceptionnelle inventivité harmonique de l’œuvre qui frappe, avec des modulations et des dissonances enjambant parfois les générations jusqu’à Rameau, et dont on savoure ici la densité, sinon la complexité, détaillées avec une sensibilité exemplaire – à cette aune, l’ouverture donne le la, quand le spectacle se referme subtilement sur le prélude au luth initial, confié alors à un consort de violes. Expressivité et sens de l’architecture formelle et dramatique s’affirment d’une manière admirablement aboutie.


La scène se révèle en osmose avec la fosse. Dans un décor unique de rotonde funéraire lambrissée, dessiné par Ben Baur, Jetske Mijnssen module la signification de l’espace avec un sens ludique aigu, des préparatifs d’un mariage à la cérémonie funèbre, au gré de l’agencement des chaises, et des lumières, habilement réglées par Bernd Purkrabek. Les costumes, en particulier les travestissements, sont réalisés avec une maîtrise absolument stupéfiante, à l’image de la nourrice à chapeau à voilette, blanc ou noir au diapason des circonstances ou de la vieille femme qui n’a pas renoncé aux prétentions de l’élégance, tandis que les Enfers n’éprouvent pas le besoin de davantage que de coiffes à vagues réminiscences animales, sans verser dans la charge caricaturale. Le soin visuel ne sombre jamais dans un alibi minimaliste, et sert une dramaturgie d’une intelligence sincère, en heureuse synchronie avec la partie musicale, qui ne se limite pas à son concept, mais s’attache, au contraire, à donner aux interprètes les clefs pour faire vivre leurs personnages.


Cette réussite rare porte ses fruits sur un plateau vocal vigilant à rendre identifiable chacun des rôles. En Orphée, Judith van Wanroij vibre d’une émouvante intensité qui trouve dans son lamento final un inoubliable climax. La toute jeune Fransceca Aspromonte n’attend pas pour faire palpiter la séduction et la constance d’Eurydice, avec des moyens aussi prometteurs que sa fine musicalité. L’Aristée de Giuseppina Bridelli ne lui cède en rien quant à la présence et la variété des sentiments. On ne saurait manquer la Vénus pétillante et fruitée de Giulia Semenzato, que l’on retrouve en Proserpine. Luigi de Donato se montre aussi solide en Augure qu’en Pluton, quand le satyre de Renato Dolcini possède l’idoine sens de la répartie. Nourrice et Amour d’une androgynie troublante autant à l’œil qu’à l’oreille, Ray Cheney fait sensation. Habitué aux compositions comiques, Dominique Visse campe une vieille impayable, avec une virtuosité d’effets qui semble ignorer les rides. Dans ce registre, le Momo de Marc Mauillon lui tient la dragée haute, ne négligeant pas la débauche chorégraphique sur fond d’ébauche de strip-tease – un artiste complet. Mentionnons encore l’estimable Victor Torres en Endymion et Charon, ainsi que l’Apollon en soutane de David Tricou, sans oublier les deux trios, des Grâces – Alicia Amo, Violaine Le Chenadec et Lucile Richardot – et des Parques, grinçantes – Guillaume Gutiérrez, Olivier Coiffet et Virgile Ancely –, ni le Chœur de l’Ensemble Pygmalion, au diapason de l’excellence des pupitres instrumentaux. Indéniablement, l’une des plus grandes redécouvertes de la saison – sinon davantage – que le public parisien pourra découvrir à Versailles les 19 et 20 février prochain, avant une tournée à Bordeaux et Caen au printemps 2017.



Gilles Charlassier

 

 

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