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Un Trouvère dans les tranchées

Paris
Opéra Bastille
01/31/2016 -  et 3, 8, 11*, 15, 20 24, 27, 29 février, 3, 6, 10, 15 mars 2016
Giuseppe Verdi : Il trovatore
Ludovic Tézier*/Vitaliy Bilyy (Il conte di Luna), Anna Netrebko/Hui He* (Leonora), Ekaterina Semenchuk*/Luciana D’Intino (Azucena), Marcelo Alvarez*/Yusif Eyvazov (Manrico), Roberto Tagliavini*/Liang Li (Ferrando), Marion Lebègue (Ines), Oleksiy Palchykov (Ruiz), Constantin Ghircau (Un vecchio zingaro), Cyrille Lovighi (Un messo)
Chœur de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Daniele Callegari (direction musicale)
Alex Ollé (La Fura dels Baus) (mise en scène), Valentina Carrasco (collaboratrice à la mise en scène), Alfons Flores (décors), Lluc Castells (costumes), Urs Schönebaum (lumières)


L. Tézier, M. Alvarez (© Charles Duprat/Opéra national de Paris)


Guerre civile, gémellité ignorée, une femme aimée par les deux frères, substitution d’enfant : quelle histoire, ce Trouvère ! Tant d’invraisemblance peut aussi bien stimuler que rebuter un metteur en scène et l’on a vu récemment des productions très iconoclastes, sinon réussies. Alex Ollé, lui, se contente du minimum syndical – rien à voir avec les audaces habituelles de la Fura dels Baus, dont il n’est pas, certes, le directeur le plus turbulent. Rien à voir non plus avec son Tristan lyonnais, si épuré et si magique. Direction d’acteurs paresseusement conventionnelle : tout réside dans la scénographie. Des pylônes descendent des cintres ou montent du sous-sol, murs de labyrinthe, château, couvent ou prison, tombes de cimetière militaire, laissant voir des tranchées quand ils disparaissent. L’horreur du combat, avec ses exécutions sommaires, l’emporte ici sur le jeu des passions : contrairement à d’autres, Ollé préfère la guerre à l’amour. On a pu nous servir les républicains et les franquistes : nous voici en plein premier conflit mondial, où les partisans du Comte de Luna portent casques allemands et masques à gaz tandis que ceux de Manrico ont un côté... migrants – n’est-on pas chez les Bohémiens, après tout ? Mais si les incessantes montée et descente des pylônes à travers une lumière blafarde constituent une sorte de métaphore de l’action, ils nous lassent trop vite, car le metteur en scène ne tire aucun parti de son idée.

On connaît le mot de Toscanini : il suffit, pour Le Trouvère, de réunir les quatre meilleurs chanteurs du monde. Mot d’autant plus vrai lorsque le metteur en scène fait défaut. Or le compte n’y est pas toujours, surtout à cause surtout de Hui He, qui remplace Anna Netrebko souffrante lors de cette quatrième représentation, avant de lui succéder à partir du 20 février. Peu amène, la voix ne manque certes ni de chair ni de volume, sur toute la tessiture. Mais les défauts, déjà perceptibles à Orange cet été, se sont aggravés. La technique n’est pas impeccable, avec des aigus trop bas et instables, parfois très faux, des vocalises horriblement savonnées – quelques pianissimos nous remboursent ici ou là. Et l’on assiste à un naufrage stylistique : aucune idée des exigences belcantistes du rôle, pas de ligne, un « Miserere » aux accents d’un vérisme douteux, un « D’amor sull’ali » sans cantabile. Ekaterina Semenchuk, heureusement, sauve l’honneur : une Azucena émouvante et habitée, mais pas histrionique, qui tient sa tessiture, jusqu’à un contre-ut plus assuré que celui de sa consœur ; elle n’abuse pas du registre de poitrine, ne débraille pas les égarements de la sorcière, peut même les intérioriser, reste stylée et nuancée.


Fort d’une voix devenue plus corsée, plus centrale et plus sombre, Marcelo Alvarez s’attaque désormais à des emplois spinto tout en conservant la beauté généreuse de ses phrasés. Son Manrico, pourtant, ne convainc pas totalement, sans doute parce qu’il conçoit trop le personnage à travers une vaillance qui excède parfois ses moyens, comme dans le fameux « Di quella pira », dont il arrache les aigus alors qu’il le transpose selon la coutume. Et pourquoi, juste avant, chanter en force le « Ah si ben mio » où devrait s’exhaler le cantabile élégiaque ? Là encore, la voix grave triomphe : Ludovic Tézier assume insolemment les tensions du Comte de Luna, princier malgré sa morgue haineuse, à la ligne châtiée, qu’on aimerait seulement ici ou là un peu plus souple, notamment dans « Il balen del suo sorriso ». Gardons-nous d’oublier, enfin, le Ferrando bien campé, belle voix et beau chant, de Roberto Tagliavini – ou un chœur en excellente forme.


Daniele Callegari cravache et fonce, déchaîne bruit et fureur, sans déraper malgré un ou deux décalages. Mais, si Le Trouvère présente un côté de cape et d’épée, l’orchestre a des subtilités, une variété de couleurs, des clairs-obscurs que la direction sacrifie allégrement. Pour un opéra pas revu à Bastille depuis plus de dix ans, on pouvait décidément attendre mieux, de la scène et de la fosse.



Didier van Moere

 

 

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