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Huis-clos étouffant

Frankfurt
Opéra
02/05/2016 -  et 11, 19, 21, 27 février 2016
Leos Janácek : Vec Makropulos
Susan Bullock (Emilia Marty), Michael König (Albert Gregor), Sebastian Geyer (Jaroslav Prus), Dietrich Volle (Maître Kolenatý), Hans-Jürgen Lazar (Vítek), Judita Nagyová (Kristina), Nicky Spence (Janek), Graham Clark (Hauk-Sendorf), Vuyani Minde (Un machiniste), Maria Pantiukhova (Une femme de ménage, Une femme de chambre)
Chor der Oper Frankfurt, Tilman Michael (chef de chœur), Frankfurter Opern- und Museumsorchester, Jonathan Darlington (direction musicale)
Richard Jones (mise en scène), Corinna Tetzel (reprise de la mise en scène), Antony McDonald (scénographie et costume), Mimi Jordan Sherin (lumières), Norbert Abels (dramaturgie), Lucy Burge (chorégraphie)


D. Volle, S. Bullock (© Barbara Aumüller)


Quatre après sa création à Francfort, la production de L’Affaire Makropoulos réglée par Richard Jones revient dans la ville natale de Goethe autour d’une assistance malheureusement bien clairsemée le jour de la première. Force est de constater que Verdi (même le rare Stiffelio) remplit toujours bien mieux les salles que l’audacieux Janácek et son avant-dernier opéra. Gageons néanmoins que ce spectacle superbe saura attirer davantage de monde pour les prochaines dates, tant sa mise en scène inventive et originale mérite le détour.


En privilégiant un décor unique et discrètement revisité tout au long de la représentation, Richard Jones opte pour une direction d’acteurs nerveuse et un huis-clos étouffant, au plus près de l’héroïne et parfaitement en phase avec les origines théâtrales de cet opéra, adapté d’une œuvre de Karel Capek. Arrogante et sûre d’elle, Emilia Marty se joue de tous ceux qui lui réclament des comptes avec une once de vulgarité chic, tandis que la mise en scène n’oublie pas les intermèdes comiques et décalés, du numéro désopilant de Hauk-Sendorf (formidable Graham Clark, immensément applaudi) aux seconds rôles intrigants qui rappellent les facéties d’un Peter Sellers dans leurs mimiques surréalistes. On se délecte surtout de l’idée astucieuse d’apporter de la profondeur au décor en plaçant un cadre et un couloir en forme d’antichambre, permettant d’appréhender les allées et venues des personnages en dehors de la pièce principale dont ne sortira jamais Emilia Marty. Classiquement, Richard Jones resserre progressivement l’étau autour de l’héroïne jusqu’à modifier la fin du livret en un véritable coup de théâtre: les protagonistes enferment brutalement le monstre dans la pièce, tandis qu’Emilia se refuse à brûler la fameuse recette d’immortalité puis à mourir.


Les puristes pourront évidemment s’offusquer de ces changements, mais force est de constater que tout cela fonctionne, et particulièrement par la grâce de son interprète principale. Formidable actrice, Susan Bullock déploie toute la palette de sa présence tour à tour féline et animale, ensorcelant tous ceux qu’elles touchent, tandis que son timbre métallique et ses changements de registre trop rudes semblent renforcer la hargne et la morgue du rôle. A ses côtés, seul Michael König (Albert Gregor) déçoit par sa voix rêche et sans projection, là où tous les autres interprètes s’imposent nettement. On se réjouit aussi de la direction frémissante et enjouée de Jonathan Darlington, qui exalte les sonorités expressives de Janácek en une véritable fête des sens. De quoi conseiller vivement cet excellent spectacle, à voir jusqu’au 27 février.



Florent Coudeyrat

 

 

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