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Présences italiennes, ou le lyrisme au service de la revendication

Paris
Maison de la radio
02/05/2016 -  et 6* février 2016

5 février, Grand Auditorium
Fausto Romitelli : The Poppy in the Cloud
Thierry Pécou : Soleil rouge (création)
Luca Francesconi : Bread, Water and Salt
Henri Dutilleux : Timbres, Espace, Mouvement, ou La Nuit étoilée

Pumeza Matshikizia (soprano), Håkan Hardenberger (trompette)
Chœur de Radio France, Maîtrise de Radio France, Sofi Jeannin (chef des chœurs), Orchestre philharmonique de Radio France, Mikko Franck (direction)




Pour signer le coup d’envoi du festival Présences 2016 «Oggi l’Italia», l’Orchestre Philharmonique de Radio France et son directeur musical Mikko Franck nous offrent un programme dense, dont les forces chorales requises permettent d’apprécier le travail accompli par Sofi Jeannin.


Du regretté Fausto Romitelli (1963-2004), The Poppy in the Cloud (1999), écrit sur trois poèmes d’Emily Dickinson, accouple la pureté des voix d’enfants à une trame orchestrale nourrie par les distorsions et les rugosités. Du chaos de leur étreinte affleurent les résonances des poèmes, d’une force et d’une concentration uniques. Sans aliéner sa manière, le compositeur l’a toutefois assouplie: les rythmes offrent davantage de lisibilité et les harmonies – en écho au paradis perdu chanté par Dickinson – renouent sur la fin avec des accords plus consonants. Ailleurs, des séquences oniriques sont brusquement contrariées par les martellements liés à «l’effroi». Remarquablement préparée, la Maîtrise de Radio France sait apprivoiser cette esthétique mêlant la glace et le feu.


La création de Thierry Pécou (né en 1965) – sans grand rapport avec la thématique transalpine – donne l’occasion d’entendre l’un des plus grands trompettistes en activité, Håkan Hardenberger, miracle d’aisance et de naturel dans l’acrobatie. C’est peu dire que Soleil rouge ne le ménage pas: ce concerto pour trompette cache une sorte de danse de mort, sous-tendue par une pulsation obsédante. Pécou y déploie pourtant une orchestration originale: l’armature rythmique, défendue par (seulement) deux percussionnistes, gangrène bientôt une grande partie du pupitre des cordes, laissant les éléments mélodiques (lancinantes mélopées) aux seuls vents. D’où vient que cette partition n’a pas totalement convaincu? Sans doute la forme, par trop discontinue, aurait-elle gagné à structurer davantage un discours dont la directivité nous a échappé.


Avec Bread, Water and Salt, Luca Francesconi (né en 1956) signe une œuvre puissante, dont la force d’expression va droit au but. Il est vrai que la forme (trois grandes sections), pour le coup, est des plus lisibles, les moyens employés (soprano solo, grand orchestre, et chœur), des plus efficaces, et la figure honorée (Neslon Mandela), des plus consensuelles. On y retrouve le lyrisme de Luciano Berio, dont Francesconi fut l’élève, puis l’assistant. Saisissant, le début favorise les effets mimétiques entre la soliste (alternant parlé/chanté) et le chœur, soutenus par les rythmes incantatoires de l’orchestre (treize percussionnistes!) tandis que dans la dernière partie, plus statique, les sonorités fondues agissent comme un baume apaisant. Les plaies n’en demeurent pas moins à vif, comme le laisse entendre la fin, abrupte. La configuration du Grand Auditorium n’offre pas la même plénitude acoustique que la grande salle de l’Académie Sainte-Cécile où la pièce fut créée (Antonio Pappano à la baguette) lors du concert d’ouverture de la saison romaine, en octobre dernier. Mais ne boudons pas notre plaisir: la performance de Pumeza Matshikizia rallie tous les suffrages par la variété de ses registres (accents jazzy, montées dramatiques dans l’aigu) soudés par le timbre ambré de sa voix. Mikko Franck défend la partition avec une probité exemplaire. Manifestement sous le charme du prix Nobel de la paix, le compositeur salue affublé d’un tee-shirt à son effigie.


Un grand classique du XXe siècle – quoique plus rare que les Métaboles – referme le concert: Timbres, Espace, Mouvement (1977, révisé en 1990) d’Henri Dutilleux, dont on fête par ailleurs les cent ans de la naissance. L’abîme entrouvert par les tessitures extrêmes – l’orchestration fait l’économie des violons et des altos – permet à son oreille infaillible d’élaborer des alliages timbriques d’une beauté inouïe où brille la petite harmonie (signalons les solos du cor anglais et du hautbois). La direction de Mikko Franck en maintient les lignes de force sans contrarier le plaisir de jouer qui émane des musiciens du «Philhar».


6 février, Studio 104
Marco Stroppa : Perché non riusciamo a vederia?
Luca Francesconi : Let me bleed
Francesco Filidei : Dormo molto amore (création de la nouvelle version)
Mauro Lanza : Ludus de morte regis (création de la nouvelle version)

Christophe Desjardins (alto)
Les Cris de Paris, Geoffroy Jourdain (direction)


G. Jourdain (© Nathaniel Baruch)


Le lendemain soir, place au chœur des Cris de Paris que dirige l’imperturbable Geoffroy Jourdain. Ils se couvrent de gloire dans les quatre œuvres au programme qui, dans leur majorité, adoptent une attitude plutôt réconciliatrice avec le chant.


Prenez celle de Marco Stroppa (né en 1959), Perché non riusciamo a vederia? (2008), fondée sur des textes anonymes («graffitis italiens contemporains symboles de protestations et de résistance aux tons multiples»), pourtant sous-titrée «cris, appels et clameurs pour chœur a cappella»: elle nous a semblé plus «traditionnelle» que les fresques – elles aussi politiquement engagées – de 1968 signées Maurice Ohana (Cris) ou Iannis Xenakis (Nuits). Non que les modes de jeu contemporains y soient absents: les chanteurs sont invités par endroits à placer la main devant la bouche, le doigt sur les lèvres, où à tourner le dos au public de manière à procurer une sensation d’éloignement. Mais ces sollicitations une fois prises en compte, le chant prime sur les effets démonstratifs dont beaucoup d’épigones ont abusé en singeant les deux chefs-d’œuvre précités. Il est même surprenant de voir Stroppa ne pas chercher à tirer du chœur des sonorités qui rappelleraient l’électronique, domaine d’élection de son catalogue. Parmi les plus beaux moments de cette partition que cadence l’alto vibrant de Christophe Desjardins, citons la fin en apesanteur, agrémentée des sonorités cristallines émises par des verres à eau.


Laissez-moi saigner: en intitulant ainsi sa pièce pour 36 voix (2004), Luca Francesconi fait référence à la déploration baroque «Laissez-moi mourir» par le truchement d’un dramatique fait divers où, à Gênes en juillet 2001, les carabinieri ont tué un garçon de vingt-trois ans. L’écriture travaille les phénomènes transitoires, privilégie les tessitures extrêmes aux accents expressionnistes assumés. Dans le volet central, des passages jouent sur la virtuosité d’ensemble (sorte de toccata pour voix) avant qu’un solo de soprano n’entonne la solennelle coda, d’un lyrisme étreignant. Comment ne pas songer au moment le plus mémorable de La vera storia de Berio, dont Francesconi fut l’assistant lors de la création au Théâtre de la Scala en 1982?


On sera moins disert – le composteur, lui, l’est bien davantage dans les copieuses notes de programme – sur Ludus de morte regis (littéralement «Jeu de la mort du roi», 2014) de Mauro Lanza (né en 1975) qui, à nos oreilles, tombe dans les travers évoqués plus haut: le propos abscons, joint à l’effet gadget lié aux happenings datés des années 1960-1970 où les chanteurs se muaient en percussionnistes polyvalents, rendent cette demi-heure bien longue en dépit du professionnalisme à toute épreuve des Cris de Paris et de Geoffroy Jourdain.


Tout le contraire du concis Dormo molto amore (2001, révisé en 2016) de Francesco Filidei (né en 1973), fascinante méditation sur le sommeil, aux textures délicates. Certainement des deux œuvres de cette seconde partie de programme la plus belle et émouvante... à défaut d’être la plus tapageuse.



Jérémie Bigorie

 

 

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