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Le rêve au rêve et la flûte au cor

Madrid
Teatro Real
01/16/2016 -  et 17, 19, 20, 22, 23, 24, 25, 26*, 28, 29, 30 janvier 2016
Wolfgang Amadeus Mozart: Die Zauberflöte, K. 620
Christof Fischesser*/Rafal Siwek (Sarastro), Joel Prieto*/Norman Reinhardt (Tamino), Ana Durlovski*/Kathryn Lewek (La Reine de la Nuit), Sophie Bevan*/Sylvia Schwartz (Pamina), Joan Martín-Royo*/Gabriel Bermúdez (Papageno), Ruth Rosique (Papagena), Mikeldi Atxalandabaso (Monostatos), Elena Copons, Gemma Coma-Albert, Nadine Weissmann (Trois Dames), Catalina Peláez*, Lucía Serinán*, Celia Martos*, Chandra Henderson*, Patricia Ginés, María Guzmán (Enfants), Airam Hernández, David Sánchez (Hommes en armes)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Ivor Bolton (direction musicale)
Suzanne Andrade, Barrie Kosky (mise en scène), 1927 (Suzanne Andrade & Paul Barritt) et Barrie Kosky (concept), Paul Barritt (animation), Esther Bialas (décors et costumes), Diego Leetz (lumières)


A. Durlovski (© Javier del Real/Teatro Real)


Il y a une très belle et très courte pièce de théâtre de Federico García Lorca, La Balade de Buster Keaton, d’un style surréaliste, plein de suggestions, aux images fugaces, des paroles sans précision et peut-être trop de sens... et la référence à un imaginaire tout proche pour le poète, assassiné en 1936: le cinéma muet, la figure toujours sérieuse, pince-sans-rire de Keaton. Il s’agit d’une toute petite pièce, sœur jumelle, par exemple, de La Demoiselle, le Marin et l’Etudiant . En voyant cette belle mise en scène de La Flûte enchantée... j’avoue que, plus de cinquante ans après, je vois maintenant la façon la plus adéquate possible pour mettre en scène ou adapter au cinéma cette petite merveille de Federico. C’était cela! Avec Keaton, il fallait penser «cinéma muet»; mais il manquait l’animation, ici essentielle, et les contrastes entre noir et blanc et cinéma en couleur, une utilisation largement imaginative de la palette.


On ne peut pas faire une analyse de la mise en scène de Kosky et du groupe 1927, car il faudrait évoquer chaque scène, chaque façon de donner une solution plastique de dessins animés et de cinéma muet pour la partition, où l’on supprime les dialogues, remplacés par des écriteaux, tout comme dans les vieux films muets, avec de la musique pour piano de Mozart à la façon des pianistes entertainers du temps jadis; qui plus est, des écriteaux stylisés, tout comme dans les films de Buster Keaton, dont la figure, la présence, l’allure, les gestes sont prêtés au héros, Tamino, avec à la fois son smoking et son calme apparent. C’est difficilement descriptible, mais on peut se faire une idée avec les sélections d’images et scènes qu’on peut voir sur YouTube. La vidéo permanente, qui n’arrête jamais, permet aux chanteurs, aux personnages, de courir sur les toits, de voler sur les champs, de laisser s’échapper des monstres. Ils y sont, ils forment part du «décor» changeant; en outre, la vidéo leur donne des bras, des pattes, comme les bras insolites et les pattes d’araignée de la Reine de la Nuit. C’est de la fantaisie, de la créativité et de l’imagination, mises au service de l’analyse de l’action, du renouveau de l’icône un peu trop usée de cet opéra sans cesse vu et revu. Mais l’imagination et la fantaisie n’empêchent pas le clair message d’initiation maçonnique, bien sûr. Mais c’est une lecture double, pour un public d’enfants et pour un public d’adultes. Et je ne sais pas qui en était le plus enflammé.


La logique de la scène est celle du cinéma. L’écran occupe une partie de la scène, et le fond, les coulisses sont invisibles, parce que le cinéma n’occupe que le premier rang de la scène et tout le reste n’est que de l’illusion. L’épatante coordination d’images, chant et orchestre donne un sens de spectacle inouï. Original, bien sûr, mais beaucoup plus que cela, comme on l’a vu.


Côté musical, impeccable. Bolton et son ensemble dominent le spectacle, même si l’attention, logiquement, est surtout attirée par les images pleines de fantaisie et d’humour. Mozartien plutôt «moderne», si l’on ose dire, Bolton a donné avec un orchestre enthousiaste, une révision de La Flûte enchantée. D’ailleurs, on sait bien que la musique ne vieillit pas tant qu’une vision scénique plus ou moins attachée aux jugements et préjugés d’une époque donnée. En tout cas, un bel accord entre l’orchestre et les images, sans oublier les voix.


Côté vocal en effet, une très belle distribution, avec les voix claires, belles, belcantistes du Madrilène (et international) Joel Prieto, un mozartien très compétent (Ferrando, Ottavio), et Sophie Bevan (Susanna, Ilia, Elvira), un couple avec des lignes d’un lyrisme frôlant parfois, peut-être par la couleur plus que par la tessiture, le côté léger des couples réclamés souvent par le belcanto tardif. Belle voix de baryton clair, avec un jeu d’acteur mesuré et un grand sens de l’humour, celle de Joan Martín-Royo en Papageno. Ana Durlovski a enthousiasmé le public avec les deux airs de la Reine de la Nuit – précisément, ces deux airs sont là pour enthousiasmer, pas pour indigner les spectateurs contre les propos du personnage; donc, mission accomplie, et très bien accomplie grâce à la virtuosité et à la grande musicalité de la soprano macédonienne. Belle voix et belle couleur, dans son medium, de Christof Fischesser, qu’on pourrait prendre pour un baryton, mais qui se montre comme une basse accomplie quand il descend dans le grave. Une trouvaille: faire de Monostatos un Nosferatu, avec la voix limpide de Mikeldi Atxalandabaso. Formidables en voix et en humour les trois Dames, Copons, Coma-Alabert et Weissmann. Et aussi les trois Enfants (le programme nous donne quatre noms) dirigés par Ana González. Attention à Ruth Rosique, jeune voix et actrice pas du tout inconnue au Teatro Real, voix émergente, une excellente Papagena qu’on voudrait revoir dans un rôle plus engagé (pourquoi pas, Ruth a chanté Zerlina, Susanna... et Musetta).


Bref, un des plus beaux spectacles de la saison, une Flûte bien connue dans d’autres théâtres du monde, provenant de la boîte magique de la Komische Oper de Berlin: le foyer, n’oublions pas, du légendaire Walter Felsenstein, où Kosky est maintenant le directeur artistique; une grande responsabilité que cet héritage, mais Kosky est un grand artiste, et son travail en équipe avec «1927» dans cette de Flûte, en est une preuve incontestable.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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