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«De beaux moments mais de bien mauvais quarts d’heure» Monaco Monte-Carlo (Opéra) 01/21/2016 - et 24*, 27, 30 janvier 2016 Alfredo Catalani : La Wally Eva-Maria Westbroek (Wally), In-Sung Sim (Stromminger), Lucio Gallo (Vincenzo Gellner), Zoran Todorovitch (Giuseppe Hagenbach), Olivia Doray (Walter), Marie Kalinine (Afra), Bernard Imbert (Le messager de Schnals)
Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, Maurizio Benini (direction musicale)
Cesare Lievi (mise en scène), Ezio Toffolutti (décors et costumes), Roberto Venturi (lumières), Stefano Visconti (chef de chœur)
(© Alain Hanel/Opéra de Monte-Carlo
Wally ce n’est pas seulement le nom de l’héroïne de l’opéra le plus célèbre de Catalani mais aussi celui de la fille aînée de Toscanini qui adorait cette partition au point de l’imposer au Met. En vain d’ailleurs, car cette œuvre tomba rapidement dans les oubliettes du chant lyrique en raison de son langage musical assez hybride. En effet, malgré une création en 1892 à la Scala de Milan sur un livret de Luigi Illica, qui fut le compagnon d’armes de Puccini (Manon Lescaut,La Bohème, Tosca, Madame Butterfly), cette Wally est un peu le Canada dry du vérisme: elle en a, certes, le goût et la couleur mais ce n’est pas tout à fait du vérisme. Et force est d’admettre que les influences musicales de Catalani sont ailleurs: Weber pour sa fascination des scènes villageoises et plus encore, Wagner, en raison de son orchestration souvent luxuriante et de sa «mélodie continue».
A l’aune de ces nouveaux critères, cette partition laisse néanmoins un sentiment partagé. Au chapitre des réussites, bien sûr, le tube «Ebben? Ne andrò lontana», véritable «scie du répertoire» qui servit de bande-son au film Diva de Beineix, mais aussi les plus méconnus duos entre Gellner et l’héroïne et une splendide scène finale. Mais pour profiter de ces beautés, que de tunnels il faut traverser, car l’inspiration mélodique du compositeur, très inégale, est loin d’égaler celle de ses principaux rivaux de la péninsule.
Et pourtant, l’Opéra de Monte-Carlo a vraiment «mis les petits plats dans les grands» pour l’occasion en faisant appel à Eva-Maria Westbroek, véritable star du Met comme de la Royal Opera House. Sa voix ample, aux reflets mordorés, se joue des difficultés de la partition tout en déployant mille nuances dans des pianissimi ineffables. Pour lui donner la réplique, le Gellner, à la couleur idéalement latine et à la diction impeccable de Lucio Gallo, emporte aussi l’adhésion et fait preuve d’un mordant idéal. Seule petite réserve: le Giuseppe Hagenbach au timbre trop nasal et au chant avare de nuances de Zoran Todorovitch, qui n’a manifestement pas les épaules assez larges pour endosser les habits de ténor héroïque requis par le rôle.
Cette belle distribution a aussi bénéficié de la direction attentive de Maurizio Benini qui, sans jamais gommer les arêtes de la partition, a su en resserrer l’action à l’aide de tempi allants. Il faut aussi saluer les efforts, sans doute considérables, des musiciens de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, qui ont réussi à assimiler une œuvre aussi rare et trouver des trésors de nuances dans le magnifique interlude de la fin du troisième acte.
En revanche, que dire de la mise en scène de Cesare Lievi et des décors et costumes d’Ezio Toffolutti, créés à Genève en 2014, si ce n’est qu’ils furent d’un autre temps? Sur un arrière-plan représentant inévitablement les montagnes du Tyrol, pas un bouton de culotte ne manquait aux villageois et l’église comme les feuillages des arbres étaient, bien entendu, de carton-pâte. Seule minime concession à la modernité: l’usage de la vidéo pour suggérer les brumes précédant l’avalanche du dernier acte durant laquelle la pauvre Wally glissa sur un toboggan blanc sensé suggérer les vertiges d’un glacier. Franchement, entre les excès à la mode de l’eurotrash et les mises en scène abusivement conservatrices, n’existe-t-il pas une place pour une voie moyenne?
Finalement, au terme de cette soirée d’un très bon niveau musical et vocal, on pourrait reprendre ce mot très injuste de Rossini au sujet de Wagner, pour en conclure que Catalani «a de beaux moments mais de biens mauvais quarts d’heure».
Eric Forveille
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