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Danse sous haute surveillance

Paris
Palais Garnier
01/05/2016 -  et 6, 7, 8*, 9 janvier 2016
Three
Ohad Naharin (chorégraphie), Johann Sebastian Bach (Variations Goldberg), Brian Eno (Neroli), Chari Chari, Kid 606, Rayon, AGF, Chronomad, Brian Wilson (musique)
Batsheva Dance Company
Rakefet Levy (costumes), Avi Yona Bueno (lumières), Ohad Fishof (réalisation sonore)


(© Laurent Philippe/Opéra national de Paris)


C’est peut être le spectacle le plus court que nous ayons vu au Palais Garnier: une heure pile sans entracte, presque autant qu’il fallait pour entrer dans le bâtiment placé sous haute surveillance. La première avait donné lieu, pour la première invitation de cette compagnie israélienne à l’Opéra de Paris pendant les traditionnelles vacances de son ballet, à des manifestations pro-palestiniennes et anti-israéliennes, ce qu’Ohad Naharin, son directeur, trouve particulièrement injuste, car il critique beaucoup lui-même la politique actuelle du gouvernement israélien. Mais la compagnie cinquantenaire étant emblématique de la culture israélienne, chacun de ses déplacements s’accompagne désormais de ces manifestations.


Trois longues filles traversent l’escalier de Garnier débarrassé de ses badauds et surveillé par des policiers armés pour aboutir à des portiques détecteurs, suivis de fouille minutieuse avec palpation systématique des vêtements. Un véritable rituel d’aéroport, sauf que l’on ne s’embarquait pas pour un vol à l’atmosphère de cabine pressurisée. La salle était électrique avec un public jeune et très enthousiaste qui a réservé aux danseurs de la Batsheva Dance Company et à Three un véritable triomphe.


On reste cependant réservé sur le choix de ce spectacle pour la première invitation de la compagnie à danser à l’Opéra de Paris. Créé en 2005 à Tel Aviv, il date un peu et pour cette consécration (Ohad Naharin n’y a plus été invité depuis la création française de sa pièce Perpetuum en mai 2000, qui n’était pas même une commande et était heureusement appariée avec le légendaire Appartement de Mats Ek), on aurait mieux vu une pièce plus engagée politiquement, comme son Naharin’s Virus, ou plus emblématique de la diversité culturelle de la compagnie, comme Decadance. Mais ces pièces ont été présentées au Théâtre de Chaillot en 2014 pour le cinquantenaire de la compagnie.


Un film documentaire consacré à Naharin remporte actuellement un immense succès en Israël. Mr. Gaga (du nom de la méthode qu’il a créée, elle même nommée d’après la première parole qu’il ait prononcée!), qui sortira au printemps prochain sur les écrans français, est autant un portrait de cet homme de 63 ans à la vitalité étonnante que de la compagnie dont il est le directeur artistique depuis vingt-cinq ans. Fondée en 1964 par une française, Bethsabée de Rothschild (Batsheva est le nom hébraïque de la baronne), la Batsheva Dance Company, qui occupe à Tel Aviv de magnifiques locaux dans le Centre culturel Susanne Dellal du quartier rénové de Neve Tzedek, a acquis en un demi-siècle une réputation mondiale, d’abord grâce à Martha Graham sa première directrice artistique, et représente aujourd’hui la partie la plus visible de la vague chorégraphique d’une grande vitalité que ce pays envoie au monde.


Dans Three, qui se danse sur un plateau vide et dans des costumes minimalistes et un peu vieux jeu, on retrouve beaucoup des composantes de l’art chorégraphique de Naharin. L’humour avant tout. Deux des trois pièces sont introduites par un petit discours pince-sans-rire débité par un des danseurs à l’intérieur d’un téléviseur qu’il tient sous le bras. Le choix musical aussi, dont l’éclectisme est une des marques distinctives, allant de Bach aux Beach Boys en passant par Brian Eno, toujours un choix de qualité vecteur d’une danse qui y puise une inspiration et n’est pas un moule. Des trois parties, la première, «Bellus» (Beauté), qui convoque Bach, l’Aria des Variations Goldberg et quelques-unes des variations, jouées par Glenn Gould, est la plus formelle permettant d’apprécier la rigueur d’un style chorégraphique basé sur la technique classique mais laissant la liberté à chaque danseur la possibilité de développer sa singularité et sa spontanéité (un des principes de la méthode «Gaga»).


«Humus» (Terre), qui suit, est une étonnante démonstration de danse synchronisée et disciplinée pour huit danseuses qui évoluent en treize séquences minimalistes, un peu à la manière des chorégraphies néoclassiques en des figures très imaginatives sur la musique douce et planante de Brian Eno. 18 minutes en apesanteur totale où l’on ne peut s’empêcher de penser à ce qui persiste d’influence de Martha Graham. Mais ce calme ne dure pas et la plus longue partie, «Secus» (Autrement), d’environ une demi-heure, permet aux danseurs d’exploser comme dans une cage d’électrons libres. Sur un kaléidoscope de pop music culminant sur le nostalgique You’re welcome des Beach Boys, qui délivre le message final et optimiste, c’est une démonstration éclatante de la méthode Gaga que présente Naharin. Chaque danseur avec une compréhension totale individuelle de son corps et de ses limites utilise son énergie, sa puissance et sa créativité pour apporter à l’ensemble de la chorégraphie sa touche personnelle sans jamais nuire à l’équilibre de l’ensemble. Cela ne va pas sans quelques provocations, plusieurs danseurs baissent leur pantalon, les duos sont interrompus par de frustrants black-out, mais l’ensemble des danseurs fait une démonstration de ce qui est une constante dans cette compagnie: montrer au monde l’énergie qui résulte de danser sans relâche au pied d’un volcan.



Olivier Brunel

 

 

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