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Orphée au bestiaire des Enfers Nancy Opéra 12/29/2015 - et 30 décembre 2015 et 1er, 2, 3 janvier 2016 Jacques Offenbach : Orphée aux Enfers Sébastien Droy (Orphée), Alexandra Hewson (Eurydice), Franck Leguérinel (Jupiter), Doris Lamprecht (L’Opinion publique), Flannan Obé (John Styx), Jennifer Courcier (Cupidon), Mathias Vidal (Aristée, Pluton), Marie Kalinine (Vénus), Anaïs Constans (Diane), Edwige Bourdy (Junon), Marc Mauillon (Mercure), Mathilde Nicolaus (Minerve), Martin Lallement, Olivier Tonon, Romain Henry (Figurants cerbères)
Chœur de l’Opéra national de Lorraine, Merion Powell (chef de chœur), Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, Laurent Campellone (direction musicale)
Ted Huffman (mise en scène), Clement & Sanôu (décors, costumes, lumières), Yara Travieso (chorégraphie), Alain Perroux (adaptation et réécriture des dialogues), David Herrezuelo (assistant mise en scène, effets magie)
(© Opéra national de Lorraine)
Après quelques mois de travaux, l’Opéra national de Lorraine ouvre, pour les fêtes de fin d’année, avec Offenbach et une nouvelle production d’Orphée aux Enfers confiée à Ted Huffman, confirmant une fois de plus l’attention de Laurent Spielmann aux talents – souvent jeunes encore – à l’audience encore modeste en France. Dessiné par le duo Clement & Sanôu, le décor de grand hôtel new-yorkais, avec l’incontournable pompe Art Déco aux imposantes dimensions signalent les racines américaines du metteur en scène, tout en esquissant une prometteuse adaptation du livret de Crémieux et Halévy.
Sous le regard vigilant d’un ascenseur à aiguille saillante, le violoniste Orphée charme un parterre de dames élégantes sur le retour, clin d’œil sans doute à la clientèle d’âge mûr qui peuple ces grands établissements internationaux autant que symptôme du déclin d’un poète entouré de nymphes à la jeunesse révolue. Aristée se cache sous l’uniforme d’un groom et L’Opinion publique apparaît comme une femme d’étage, gants en latex, pour faire le ménage dans les mœurs livrées à l’oisiveté. Annoncés par un panneau cinématographique noir digne du muet, les lieux semblent amorcer, au-delà de leur apparence un rien aseptisée, accentuée peut-être par un jeu comique à l’éveil progressif, une relecture dans la lignée irrévérencieuse des intentions originales des auteurs. La métamorphose de Pluton en zombie ailé que l’on croirait revenu de la saga de Harry Potter verse alors dans le parodique aux accents zoologiques, avec un trio de cerbères aboyant plus que l’intrigue ne l’exige, et couvrant plus d’une fois la ligne musicale. L’Olympe et ses dieux en sumos poudrés d’or affirme une pesanteur semblable à celle de costumes limitant la mobilité – et les potentialités d’attractivité érotique – des personnages, dont la pertinence se concentre d’abord dans le sommeil augural de la scène. La suite de la soirée ne cultivera pas davantage l’anthropomorphisme que l’on attend habituellement dans l’ouvrage, et le bal finit en un joyeux bestiaire coloré prétendument inspiré par Bosch, rythmé par la chorégraphie relativement consensuelle de Yara Travieso, où achève de se dissoudre le sel corrosif de la fantaisie mythologique, que les inégales actualisations satiriques du texte par Alain Perroux ne cherchent probablement pas à sauver.
Dans le rôle-titre, Sébastien Droy assume un lyrisme sensible aux contraintes que la réputation fait peser sur le barde. Sa blonde épouse, Eurydice, pétille avec une Alexandra Hewson aussi svelte d’allure que de voix. En Jupiter, Franck Leguérinel confirme un métier théâtral accompli, au diapason de L’Opinion publique de Doris Lamprecht. Les moyens de Mathias Vidal ne font pas de doute, et l’éclat évident de son Pluton, préludé en Aristée, se passerait aisément de la déclamation forcée exigée par la conception scénographique. En Mercure, Marc Mauillon se laisse aller à un de ces exubérants numéros aussi comiques que vocaux qui ont justement forgé sa réputation. Le reste du plateau ne démérite aucunement, à commencer par la Diane éplorée d’Anaïs Constans. Edwige Bourdy n’oublie aucunement l’hystérie de Junon, épargnant la vulgarité à sa caricature. Marie Kalinine ne déçoit pas en Vénus, et Jennifer Courcier fait vibrer un Cupidon mutin. Flannan Obé se glisse dans les épines de John Styx – un jeu de mots anglophone – tandis que Mathilde Nicolaus se révèle une fort honnête Minerve.
Préparés par Merion Powell, les chœurs assument leur office avec enthousiasme, grâce à l’émulation de la direction subtile et inventive de Laurent Campellone. A la tête de l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, le chef français cisèle la richesse de la partition d’Offenbach, dont il fait ressortir la profusion d’influences assimilées, à l’instar du prélude du deuxième tableau dans un Olympe assoupi, où plus d’une fois se fait entendre la leçon de Berlioz. Les initiatives de tempi ne font guère défaut, au service de la construction d’ensemble où se résout ce qui pourrait sembler coquetterie ailleurs. On ne peut que se réjouir de ce que l’Opéra national de Lorraine fasse ainsi sonner Offenbach comme un grand compositeur.
Gilles Charlassier
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