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Une redécouverte inattendue Montpellier Opéra Comédie 12/18/2015 - et 19, 20, 22, 23 décembre 2015 Simon Laks : L’Hirondelle inattendue
Maurice Ravel : L’Enfant et les sortilèges (*) Khatouna Gadelia (La colombe de l’Arche de Noé, L’Enfant*), Alix Le Saux (L’hirondelle, La chauve-souris*, L’écureuil*), Jodie Devos (Proché, Le feu*, La princesse*, Le rossignol*), Elodie Méchain (La tortue d’Eschyle, La Mère*, La tasse chinoise*, La libellule*), Kévin Amiel (Le journaliste, La théière*, Le petit vieillard*, La rainette*), Régis Mengus (Le pilote, Le serpent de l’Eden, L’horloge*), Julien Véronèse (L’ours de Berne, Le fauteuil*, L’arbre*), Laurent Sérou (La voix du ciel), Alexandra Dauphin (L’hirondelle 2, Un pâtre*), Benjamin Guilbaud (Le médecin), Camille Poirier (Le patient, Le chat*), Elina Bordry (La bergère*), Véronique Parize (Une pastourelle*), Marie-Camille Goiffon (Une chouette*), Lisa Barthélémy (La chatte*), Léna Chevrot-Roche, Gaspard Ferret, Anne Ramahandriarivelo, Tormey Woods (Les meubles*)
Chœur Opéra Junior-Jeune Opéra (*),Vincent Recolin (chef de chœur), Chœur de l’Opéra national Montpellier Languedoc-Roussillon, Noëlle Gény (chef de chœur), Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon, David Niemann (direction musicale)
Sandra Pocceschi (mise en scène), Giacomo Strada (décors et collaboration artistique), Cristina Nyffeler (costumes), Geoffroy Duval (lumières, vidéo)
L’Hirondelle inattendue (© Marc Ginot)
Après avoir ouvert sa première saison à la tête de l’Opéra national de Montpellier par le trop rare Chérubin de Massenet, Valérie Chevalier poursuit, pour les fêtes de fin d’année, son exploration des trésors oubliés du répertoire, avec L’Hirondelle inattendue (1965), unique ouvrage lyrique de Simon Laks (1901-1983), créé à Varsovie en 1975, et qui n’avait jusqu’alors connu en France qu’une seule interprétation en concert par le festival Musiques interdites à Marseille en 2009. Inspiré par la pièce radiophonique de Claude Aveline Le Bestiaire inattendu: l’Hirondelle du faubourg, le livret invite le spectateur à une fantaisie eschatologique au milieu du paradis des animaux célèbres où vient d’échouer une hirondelle, la fille des rues morte sur son lit d’hôpital des deux coups de couteau reçus près du cœur que décrit la chanson réaliste du début du vingtième siècle du duo Bénech et Dumont. Rejetée du céleste séjour des humains, la créature atterrit, en même temps qu’un journaliste en quête de reportage, dans celui réservé aux créatures que la mythologie, l’histoire ou la musique ont couronné de gloire, mêlant non sans humour le serpent de l’Eden à la louve romaine, la truite de Schubert à l’aspic de Cléopâtre.
Sandra Pocceschi a choisi de restituer la partition dans le contexte de sa composition, en 1965, faisant de la destination d’outre-tombe un monolithe à la Kubrick – 2001, l’Odyssée de l’espace – qu’elle introduit avec force images d’archives reliant la géopolitique contemporaine de guerre froide et rivalité dans la conquête de l’espace aux ondes qui ont les premières porté l’intrigue sous forme théâtrale, par le biais desquelles s’échappe la mélodie de L’Hirondelle du faubourg, tel un délicat filet de mélancolie nostalgique. Appuyée par l’habile travail vidéographique de Geoffroy Duval, la scénographie, à laquelle a collaboré Giacomo Strada, soutient le séduisant balancement entre ritournelle populaire et écriture savante qui nourrit l’inspiration de Simon Laks, laquelle renoue avec une tradition qu’une certaine avant-garde d’après-guerre a brutalement stérilisée – et dans laquelle le compositeur ne se reconnaît pas – en même temps qu’elle témoigne d’une esthétique de collage qu’un Berio ne renierait pas: en somme une liberté affranchie des modes de la modernité.
L’Enfant et les Sortilèges (© Marc Ginot)
A cet opéra-bouffe de trois quarts d’heure répond, en seconde partie de soirée, L’Enfant et les sortilèges que Sandra Pocceschi avait réglé en février dernier pour Opéra Junior, et qui complète ainsi un diptyque inattendu autant qu’équilibré. Pour cette reprise confiée à un effectif vocal «standard», le propos a été élagué, et la profusion imaginative affirme mieux son sens de la construction. On reconnaît le lacanisme des jeux de mots – «méchant enfant» métamorphosé en «mais chante enfant» – tout autant que les costumes de Cristina Nyffeler empreints d’humour, à l’image de l’horloge châtrée de son balancier et dont le pantalon a perdu son élasticité. Les lumières, toutes de nocturne poésie, participent du gain de lisibilité de l’ensemble.
La cohérence de la production s’entend dans une distribution commune aux deux opus. Alix Le Saux distille une fraîcheur touchante dans le rôle-titre de l’Hirondelle, que l’on retrouve en Chauve-Souris et Ecureuil chez Ravel. Enfant d’une sensibilité certaine, Khatouna Gadelia ne dépare aucunement en Colombe de l’Arche de Noé. L’autorité maternelle d’Elodie Méchain s’adapte aux avanies de la Tasse chinoise et de la Libellule, après une apparition en Tortue d’Eschyle dans le Laks. La piquante et jalouse Proché de Jodie Devos confie ensuite son éclat au Feu, à la Princesse et au Rossignol. Journaliste enthousiaste, Kévin Amiel prend un plaisir communicatif aux syllabismes de la Rainette, sans négliger la Théière ou le Petit Vieillard. Régis Mengus livre en Horloge une irrésistible synthèse de chant et de jeu théâtral, après de plus anecdotiques Pilote et Serpent de l’Eden. Julien Véronèse s’installe sans peine dans le débonnaire du Fauteuil et de l’Arbre, qui sied également à l’Ours de Berne. Mentionnons encore la Voix du ciel en off de Laurent Sérou, le double de l’Hirondelle, Alexandra Dauphin, que l’on goûte plus tard en Pâtre un rien gauche, à qui l’on préférera peut-être sa Pastourelle, Véronique Parize. Ajoutons, pour Laks, le Médecin de Benjamin Guilbaud, tandis que Ravel offre une tribune à la Bergère d’Elina Bordry, la Chouette de Marie-Camille Goiffon, ainsi qu’à des solistes de Jeune Opéra – Lisa Barthélémy et Camille Poirier – également Patient en début de spectacle – dans le délicieux duo félin, sans oublier le quatuor de meubles.
Préparées par Noëlle Gény, les forces chorales de la maison, auxquelles se joignent, dans L’Enfant et les sortilèges, celles d’Opéra Junior, remplissent leur office sans faiblesse. A la tête de l’Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon, David Niemann, l’assistant de Michael Schønwandt, le directeur musical de la phalange, gagnerait sans doute à davantage de modération dans L’Hirondelle inattendue – dont il fait éclore sans retenue la rythmique presque cinématographique où d’aucuns pourraient déceler, au-delà d’Hollywood, le souvenir du Prélude de L’Affaire Makropoulos de Janácek –, dissipant ces excès avec un Ravel au chatoiement de couleurs maîtrisé.
Gilles Charlassier
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