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Judith, c’est Elle

Paris
Palais Garnier
11/23/2015 -  et 27*, 29 novembre, 2, 4, 6, 8, 10, 12 décembre 2015
Béla Bartók: A kékszakállú herceg vára, opus 11, sz. 48
Francis Poulenc: La Voix humaine

John Relyea (Le duc Barbe-Bleue), Ekaterina Gubanova (Judith), Barbara Hannigan (Elle), Claude Bardouil (Lui)
Orchestre de l’Opéra national de Paris, Esa-Pekka Salonen (direction musicale)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Malgorzata Szczesniak (décors, costumes), Felice Ross (lumières), Denis Guéguin (video), Claude Bardouil (chorégraphie), Christian Longchamp (dramaturgie)


(© Bernd Uhlig/Opéra national de Paris)


Le Château de Barbe-Bleue, c’est ce qui ne sera jamais. La Voix humaine, c’est ce qui ne sera plus. Deux opéras de l’échec, celui de la femme et du couple : chez Bartók, il échoue à se former ; chez Poulenc, à se perpétuer. Les associer ne relève donc pas seulement des commodités du minutage – leur durée totale fait un peu plus d’une heure et demie. L’audacieux Krzysztof Warlikowski va d’ailleurs beaucoup plus loin : l’amant de La Voix humaine réincarne Barbe-Bleue. Le metteur en scène a même osé enchaîner les deux œuvres pour n’en faire qu’une : décor unique de huis clos, du coup, dans le style Art déco, où des vitrines figurent les différentes pièces du château. Le dénouement de la pièce de Cocteau devient celui du drame de Balazs, voire de son Prologue : l’assistante hypnotisée du prestidigitateur, c’était Elle, qui finit par se suicider après avoir tué un amant qu’on voit agoniser. Le téléphone, lui, est resté sur un meuble, sans jamais sonner.


Si le mystère du conte est donc rattrapé par le réalisme du fait divers, Warlikowski n’en élude pas l’esprit. L’image d’un enfant se projette sur un écran et Barbe-Bleue, au début, apparaît en magicien. De quoi faire rêver l’enfant, sans doute. L’image de la Bête, du film de Cocteau, se projette de son côté. Un double de Barbe-Bleue, pas si monstrueux donc, qui lui aussi joue à créer des mondes, comme le prestidigitateur crée la magie du spectacle, quand la salle du Palais Garnier apparaît en noir et blanc et que Judith quitte le premier rang pour jouer son rôle sur la scène. Barbe-Bleue lui-même est-il sorti de cette enfance ? Et s’il avait, au fond, peur de cette Judith vamp hollywoodienne, de l’amour, du sexe ?


Warlikowski multiplie les jeux de miroir, la mise en abyme des références. Mais si le propos est d’une audace virtuose, il reste remarquablement cohérent – alors que cette virtuosité a pu parfois se disperser. Le Polonais fait preuve ici d’une concentration, voire d’une économie de moyens, qu’il faut admirer. Les effets l’intéressent moins que le tréfonds des consciences tel que le révèlent les corps : corps offert de Judith séductrice dans un Barbe-Bleue très sensuel, corps d’Elle tordu par l’hystérie de l’abandon dans La Voix humaine.


Les corps parlent : les chanteurs se prêtent admirablement au jeu très physique que leur demande le metteur en scène. Barbara Hannigan, à qui il impose toutes les positions, est incroyable de vérité. Mais elle convaincrait davantage si la chanteuse égalait la tragédienne – c’était déjà le cas de sa Donna Anna bruxelloise. L’articulation laisse à désirer, la voix se projette parfois modestement, l’intimité avec la déclamation à la française n’est pas évidente. Ekaterina Gubanova s’impose plus naturellement en Judith, par l’opulence du timbre et du chant, même si elle peine parfois à affronter les tutti de l’orchestre. Lui reprochera-t-on un certain monolithisme de la composition, un manque de mystère ? C’est sans doute ainsi qu’elle incarne vraiment la Judith de Warlikowski. Il n’empêche : la soirée, vocalement, vaut d’abord par le Barbe-Bleue de John Relyea, superbe timbre, plein d’harmoniques et de mordant, voix souverainement conduite, un vrai Duc, grand seigneur pas si méchant homme, vacillant peu à peu.


Esa-Pekka Salonen ? Ceux qui, pas forcément enthousiastes du live viennois de 2011, craignaient un Bartók trop clair, voire trop lisse, étaient mauvais prophètes. Sans jamais renoncer à la transparence des textures, le Finlandais est ici beaucoup plus rugueux, ne tire plus la musique vers Debussy ou Stravinsky, trouve des couleurs sombres, des atmosphères oppressantes, installe dès le début un climat d’urgence mystérieuse – passionnante, la comparaison avec le concert donné le mois dernier à la tête de l’Orchestre de Paris montre qu’il a capté toute la spécificité de l’opéra. On aime moins sa Voix humaine, dont la musique ne s’accommode pas du même traitement : elle se durcit, se raidit un peu. Etonnant de la part d’un chef qu’on sait aussi familier de la musique française du vingtième siècle, victime sans doute, pour le coup, de la fusion des deux œuvres, comme si la scène avait piégé la fosse.



Didier van Moere

 

 

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