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Beethoven au régime Rattle Paris Philharmonie 1 11/05/2015 - et 12 (Wien), 19 (New York) novembre 2015 Ludwig van Beethoven : Symphonies n° 8 en fa majeur, opus 93, et n° 6 en fa majeur, opus 68 «Pastorale» Berliner Philharmoniker, Simon Rattle (direction)
S. Rattle (© Monika Rittershaus)
Après Boston, San Francisco, Leipzig et Cleveland, le véritable festival d’orchestres internationaux organisé en ce début de saison à la Philharmonie de Paris se poursuivait avec la venue très attendue de l’Orchestre philharmonique de Berlin et de son chef, Sir Simon Rattle, pour une intégrale des Symphonies de Beethoven. Le troisième concert de cette série associait la Huitième, la moins connue des symphonies de la maturité, à la très célèbre Symphonie «Pastorale», qu’on a pu récemment entendre à Paris sous la baguette de Yannick Nézet-Séguin.
Comme pour les concerts précédents de ce cycle, l’effectif choisi par Simon Rattle est allégé puisque constitué d’une quarantaine de cordes (avec par exemple, cinq contrebasses), l’orchestre paraissant même visuellement sous-dimensionné sur le grand plateau de la Philharmonie. Mais même en effectif réduit, l’Orchestre philharmonique de Berlin reste magistral et ce concert fut une fascinante démonstration orchestrale d’excellence en termes de beauté sonore, de précision et de jeu collectif, même si l’on regrette de ne pouvoir profiter de la totalité du pupitre des contrebasses, on le sait exceptionnel, de cet orchestre. Si la beauté et la fusion des cordes sont légendaires, les bois sont tout aussi spectaculaires, que ce soit le basson poétique de Daniele Damiano, le hautbois capable de toutes les nuances d’Albrecht Mayer, la flûte dionysiaque d’Emmanuel Pahud et la clarinette élégante d’Andreas Ottensamer. Quelques légers décalages dans les cordes et une minime imprécision d’un cuivre ne gâchent en rien une sonorité pleine et une musicalité de tous les instants. L’autre signature de cet orchestre est cet incroyable engagement physique de chacun des musiciens, et ce, du premier jusqu’au dernier rang. Du côté de l’orchestre donc, rien à redire bien au contraire: Berlin est toujours Berlin!
Mais, même si la lecture de la Huitième proposée par Simon Rattle est passionnée, elle ne s’avère pas toujours passionnante. Devenant trop heurtée et contrastée, cette symphonie, pourtant respiration joyeuse entre la Septième et l’aboutissement que sera la Neuvième, perd de sa fraîcheur et de sa spontanéité. L’enchaînement des quatre mouvements, même magnifiquement joués, ne séduit pas complètement. La lisibilité souffre d’ailleurs de ces accents excessifs et de ces ruptures incessantes, au point que trop souvent les bois disparaissent derrière les cordes. De même, le passage des thèmes et contre-thèmes d’un pupitre de cordes à l’autre n’apparaît pas naturel, ce qui contribue aussi à un discours par moment presque confus.
En seconde partie de concert, l’effectif de cordes est inchangé alors qu’un piccolo et deux trombones ont rejoint le plateau. L’interprétation proposée est ici beaucoup plus convaincante, Simon Rattle laissant mieux respirer la musique. Le premier mouvement, sans doute encore un peu trop actif, laisse ensuite place à un bel Andante molto mosso où la petite harmonie fait des miracles. La scène de l’orage est menée avec une précision instrumentale stupéfiante, sans les excès si faciles dans ce passage, et les coups de timbale de Rainer Seegers sont d’une précision et d’une puissance impressionnantes. Le dernier mouvement, qui voit Rattle diriger de manière un peu plus apaisée, n’est que ravissement, chant, nuances et hédonisme tous parfaitement conduits.
Il ne s’agit pas ici de mettre en doute l’immense talent et la forte personnalité de Simon Rattle. Mais force est de reconnaître que la seconde partie de ce concert était beaucoup plus enthousiasmante. Et l’on s’étonne que le chef anglais, qui souligne tant la puissance de la musique de Beethoven, ne parvienne pas, malgré l’effectif restreint adopté, à gagner en transparence, lisibilité et légèreté. Un Rattle, au tempérament on le sait très actif, mais qui réussit finalement mieux la Pastorale que la Huitième. Décidément, ce Beethoven au régime Rattle, orchestralement superbe, est passionnant mais quelque peu paradoxal.
Gilles Lesur
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