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Bredouilles

Paris
Philharmonie 1
11/04/2015 -  et 11 (Wien), 18 (New York) novembre 2015
Ludwig van Beethoven : Ouverture «Leonore I», opus 138 – Symphonies n° 2, opus 36, et n° 5, opus 67
Berliner Philharmoniker, Simon Rattle (direction)


S. Rattle (© Monika Rittershaus)


Quand un orchestre a une réputation, qu’il apparaît comme une véritable institution, et qu’en plus il se produit avec un chef starisé, on a toutes les raisons de se précipiter et d’espérer vivre un moment exceptionnel. Le problème avec la réputation, c’est qu’il faut réussir à être tout le temps à sa hauteur et que si ce n’est pas le cas, le public en est – légitimement – d’autant plus déçu.


C’est exactement ce qui s’est passé mardi soir à la Philharmonie pour le concert donné par les Berliner dirigés par Sir Simon Rattle. Il ne fallait pas venir écouter l’Ouverture Léonore I ainsi que les Deuxième et Cinquième Symphonies de Beethoven car si ce sont bien ces partitions qui ont été jouées, jamais la musique beethovénienne n’a été présente. On a assisté à une démonstration de force d’un grand orchestre, aux codes bien définis et à la hiérarchie visible pour chaque spectateur. Tout en haut de la pyramide: les cordes avec au pinacle les premiers violons. En bas, dans l’ombre, voire sur le côté, les timbales, les cuivres et même un piccolo relégué au dernier rang durant la Cinquième (on lui permettra de se faire entendre à deux petites reprises alors même qu’il aurait mérité plus de considération). Cette hiérarchie spatiale s’est traduite dans la musique, où chaque instrument peut s’exprimer en fonction de son «rang». La question n’est pas de savoir si ce choix sert la musique, ce n’est pas le débat. Il s’agit de respecter l’institution. Et le chef me direz-vous? L’orchestre accepte qu’il donne des indications, mais ce n’était clairement pas Rattle dirigeant les Berliner; c’était les Berliner acceptant – et encore pas tout le temps – d’obéir à la direction d’un primus inter pares. Le chef est d’ailleurs tourné plus des trois quarts du temps vers les seuls violons, au point d’ailleurs que certains instrumentistes regardent plus leur partition que le chef. Et les spectateurs pourraient écouter le concert d’une seule oreille puisque le son ne vient que d’un côté de l’orchestre.


Ce système, pour critiquable qu’il soit, pourrait se justifier si le résultat était au rendez-vous. Hélas, ô combien hélas, cela aboutit à des moments de pure félicité qui côtoient des moments de pur ennui, le tout sans aucune cohérence et sans vision d’ensemble. En fin de compte, on aimerait demander au chef ce qu’il a voulu dire et quel est son propos. Et on l’imagine répondre: «je tenais beaucoup à mettre en évidence la quatrième mesure de la troisième phrase du scherzo», mais de démarche globale, point.


Ce manque se ressent cruellement au travers des tempi: le chef a décidé de les varier parfois brutalement, cédant parfois à la précipitation comme au début du premier mouvement de la Cinquième, où l’orchestre est tellement pressé qu’il en oublie les silences ou les écourte au maximum. De même dans la Deuxième, les trilles des flûtes ont été coupés plusieurs fois, comme si le chef avait hâte de passer à la suite. A l’inverse, il nous impose parfois, et notamment dans les deux derniers mouvements de la Cinquième, des rallentandi excessifs au point qu’on se demande si l’orchestre va réussir à sortir d’une pareille léthargie. Oui mais ces rallentandi sont joués par les premiers violons, alors c’est justifié! Les articulations sont dans la même veine: bâclées ou surjouées, sans qu’on comprenne le choix qui a été fait et l’intérêt de la chose.


Enfin et peut-être surtout, on cherche encore l’impulsion qui fait la nervosité et la densité d’une interprétation. C’est grâce à elle qu’on ressent physiquement la communion de l’orchestre et du chef, au service de la musique. C’est parfois acide, parfois retenu, mais il y a une tension, il y a de la vie. Et mercredi soir, pas d’impulsion, pas de vie. L’Ouverture Léonore I nous a préparé à cette absence: un moment de belle facture mais sans couleur et sans charme. On ne peut pas dire que ce n’était pas bien, mais aussitôt écouté, aussitôt oublié. L’accord d’ouverture de la Deuxième est dans la même veine (après que le public a accepté de patienter près de 10 minutes pour le retour du chef): on espérait une belle attaque ou du moins une accroche qui nous mobilise pour la suite. Ce fut propre et sage. Excellemment exécuté certes, mais au service de quoi?


A la fin de la soirée, le public acclame la prestation, récompensant légitimement des musiciens de haut niveau. L’orchestre et le chef se sont livrés à un très bel exercice et nous ont prouvé les qualités sonores de cette institution orchestrale. Mais nous n’étions pas venus voir les Berliner et Rattle, nous étions venus écouter Beethoven; nous sommes repartis bredouilles.



Gaspard Favre

 

 

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