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Des Troyens somptueux Geneva Grand Théâtre 10/15/2015 - et 17, 19*/22* octobre 2015 Hector Berlioz : Les Troyens Ian Storey (Enée), Tassis Christoyannis (Chorèbe, Le spectre de Chorèbe), Brandon Cedel (Panthée), Günes Gürle (Narbal), Dominick Chenes (Iopas), Amelia Scicolone (Ascagne), Michaela Martens (Cassandre), Béatrice Uria Monzon (Didon), Dana Beth Miller (Anna), Bernard Richter (Hylas), Michail Milanov (Priam, Le spectre de Priam), Jérémie Schütz (Helenus), Mi-Young Kim (Hécube), Aleksander Chaveev (Un soldat), Nicolas Carré (Un chef grec), Rodrigo Garcia (Première sentinelle), Philipp Casperd (Deuxième sentinelle)
Chœur du Grand Théâtre, Alan Woodbridge (préparation), Royal Philharmonic Orchestra, Charles Dutoit (direction musicale)
D. B. Miller, B. Uria Monzon (© GTG/Magali Dougados)
Parallèlement aux représentations de La Belle Hélène, le Grand Théâtre de Genève a eu l’excellente idée de programmer Les Troyens de Berlioz. Les deux ouvrages sont pratiquement contemporains, Les Troyens ayant été créés partiellement en 1863, soit un an avant La Belle Hélène, et traitent du même sujet, quoique de manière totalement différente : si Offenbach fait dans l’humour décapant, Berlioz, lui, s’inspire de L’Enéide de Virgile pour composer un drame. La grande fresque troyenne a été proposée en version de concert en deux soirées (La Prise de Troie puis Les Troyens à Carthage), deux fois de suite. Les représentations ont surtout valu pour la magnifique lecture musicale qu’en a faite Charles Dutoit à la tête du Royal Philharmonic Orchestra de Londres. Débarrassant la partition de toute emphase et de toute pompe, mais sans rien perdre ni en ampleur ni en souffle, le chef suisse a su en tirer une interprétation finement ciselée dans les moindres détails, attentif à chaque note, mais néanmoins soucieux de la cohérence et de la cohésion d’ensemble. Le son s’est fait rutilant et puissant dans les moments dramatiques et flamboyants (notamment dans l’épisode grandiose de l’incendie de Troie), et aussi subtilement nuancé et infiniment coloré dans les passages plus lyriques, avec de superbes interventions des instrumentistes solistes, dont la clarinette en première partie. Le Chœur du Grand Théâtre a, lui aussi, fourni une prestation superlative, à force de précision et d’équilibre entre les différentes voix.
Dans La Prise de Troie, c’est bien évidemment Cassandre qui s’est taillé la part du lion, vocalement parlant. Si l’incarnation d’Anna Caterina Antonacci ici même en 2007, dans la célèbre production de Yannis Kokkos, est encore dans toutes les mémoires, Michaela Martens – très investie dans son personnage – a néanmoins réussi à tirer son épingle du jeu en incarnant une prophétesse noble et lumineuse, plus intériorisée et humaine que sa consœur, mais non moins bouleversante. Tassis Christoyannis a prêté à Chorèbe son allure élégante et sa voix charnue.
Dans Les Troyens à Carthage, tous les regards étaient tournés vers la somptueuse Didon de Béatrice Uria Monzon. Voix de velours, diction irréprochable, timbre aux couleurs variées, la chanteuse française a campé une reine sensuelle et passionnée. Dommage que le grand duo « Nuit exquise » ait été gâché par l’Enée brailleur et poussif de Ian Storey, sans parler de son très fort accent anglais. On en venait secrètement à espérer qu’il perde sa voix… Bien que possédant les aigus meurtriers exigés par la partition, notamment au dernière acte, le ténor anglais n’a clairement pas été à la hauteur de la tâche, incapable de chanter autrement qu’en forçant la voix. La consolation est venue de Bernard Richter, Hylas de belle tenue vocale. Il convient également de mentionner l’Ascagne frais et juvénile d’Amelia Scicolone ainsi que l’Anna aux graves ambrés de Dana Beth Miller, en dépit d’un chant peu nuancé. Des Troyens de très haute tenue donc, malgré un Enée fort décevant. Malheureusement, le Grand Théâtre n’a pas réussi à faire le plein. Les absents ont eu tort.
Claudio Poloni
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