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Un décevant Philharmonique de Saint-Pétersbourg Paris Théâtre des Champs-Elysées 10/23/2015 - et 20 octobre 2015 (Saint-Pétersbourg) Maurice Ravel : Pavane pour une infante défunte
Gustav Mahler : Kindertotenlieder – Symphonie n° 1 en ré majeur «Titan» Matthias Goerne (baryton)
Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg, Yuri Temirkanov (direction)
Y. Temirkanov (© Sasha Gusov)
La venue de l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg au Théâtre des Champs Elysées est depuis plusieurs années l’un des événements de la saison symphonique parisienne. Cet ensemble légendaire programme alors le plus souvent de la musique russe dans laquelle il excelle. Il est beaucoup plus rare d’entendre ces musiciens dans d’autres répertoires. C’était néanmoins le cas pour les deux concerts programmés cet automne à Paris, avec au menu du premier d’entre eux, Maurice Ravel et Gustav Mahler.
En effet, ce concert débutait par la Pavane pour une infante défunte. Dès l’intervention du cor, on percevait les limites de cet orchestre à la réputation pourtant prestigieuse mais qui, ce soir en tout cas, a donné de nombreux signes de faiblesse. L’entrée imprécise et dans une nuance trop forte du cor, son phrasé tout sauf délicat, l’accompagnement par des cordes imprécises puis l’entrée de bois aux attaques incertaines, tout dès le début de ce concert décevait. La reprise du thème, strictement identique à l’énoncé initial, n’apportait pas la magie attendue. En somme, un début de concert raté.
Si l’on en croit le programme remis dans la salle, les Kindertotenlieder de Mahler, une des pièces les plus sombres de Mahler, aurait en commun avec la Pavane de Ravel le monde de l’enfance... Même si ce rapprochement n’emporte pas la conviction, le cycle de Mahler était plus réussi que la pièce de Ravel, mais toutefois sans atteindre ce que l’on est en droit d’espérer d’un tel orchestre. Heureusement, Matthias Goerne, avec son talent et son timbre sombre tout à fait adapté à la gravité des textes de Friedrich Rückert, livrait lui une interprétation de haute volée, avec notamment son art de dire chaque mot. Tout de ce texte était soit énoncé, soit suggéré, voire susurré, mais toujours avec une exceptionnelle science du legato et de fascinantes nuances. On en oubliait presque l’orchestre, souvent prosaïque et banal, et qui n’apportait pas l’émotion attendue, alors même que Matthias Goerne offrait simultanément la quintessence du chant mahlérien.
En seconde partie de concert, la déception est à nouveau au rendez-vous. La Symphonie «Titan» de Mahler décrite par le compositeur «comme un bruit de nature» ne convainquait à aucun moment. Le premier mouvement peinait à trouver ses marques et ses fanfares, comme ses traits de clarinettes, semblaient comme perdus et triviaux, sans ligne directrice. Le deuxième mouvement était un peu mieux réussi, donnant même lieu à d’assez beaux tutti orchestraux. Mais l’errance reprenait dès le début du troisième mouvement, le fameux Frère Jacques, à cause d’une entrée imprécise de la contrebasse solo et, là encore, du fait d’une exécution très imparfaite: entrées floues des bois, cordes au son banal, cuivres sonores mais un peu rustres, percussions brutales... Le dernier mouvement, par nature plus spectaculaire, parvenait à faire son effet même si, là encore, la réalisation orchestrale n’était pas du niveau attendu.
Ce concert décevant interroge à plus d’un titre. Ces interprètes ne tourneraient-ils pas en rond, peut-être du fait d’une routine qui ne les rendrait pas à l’aise avec le répertoire non russe? De plus, si la gestique d’un chef n’est pas tout, force est de reconnaître que celle de Yuri Temirkanov, pour le moins inhabituelle, n’aide pas à la précision. Enfin, le passage récent à Paris d’orchestres symphoniques de niveau exceptionnel (Leipzig, Cleveland) et formidablement préparés accentue probablement la perception de la différence de niveau, sans même parler de l’acoustique sèche du TCE, qui ne valorise pas les ensembles symphoniques. Un rendez-vous raté donc. Souhaitons que cet ensemble au passé prestigieux trouve bientôt les moyens de regarder à nouveau vers l’avenir.
Gilles Lesur
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