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Une Norma d’exception Zurich Opernhaus 10/10/2015 - et 13, 15, 18* octobre 2015 Vincenzo Bellini : Norma Cecilia Bartoli (Norma), Rebeca Olvera (Adalgisa), John Osborn (Pollione), Péter Kálmán (Oroveso), Liliana Nikiteanu (Clotilde), Reinaldo Macias (Flavio)
Coro della Radiotelevisione Svizzera Italiana Lugano, Diego Fasolis, Gianluca Capuano (préparation), Orchestra La Scintilla, Giovanni Antonini (direction musicale)
Patrice Caurier, Moshe Leiser (mise en scène), Christian Fenouillat (décors), Agostino Cavalca (costumes), Christophe Forey (lumières)
C. Bartoli (© Hans Jörg Michel)
Cecilia Bartoli a chanté sa première Norma en 2013 à Salzbourg. Pour sa prise de rôle, la célèbre chanteuse a voulu rendre au chef-d’œuvre de Bellini son caractère belcantiste, avec des voix souples et légères, alors que la « Bellini Renaissance » des années 1950 avait poussé l’ouvrage vers le vérisme, de grands gosiers pucciniens et wagnériens ayant fait leur les rôles de Norma, de Pollione et d’Adalgisa, les trois personnages principaux de l’œuvre. Cecilia Bartoli a aussi fait valoir que, contrairement à la tradition qui s’est instaurée par la suite, à la création de l’ouvrage en 1831 à Milan, le rôle de la prêtresse avait été interprété par une mezzo-soprano (Giuditta Pasta en l’occurrence) et que la première Adalgisa de l’histoire (Giulia Grisi, soprano) avait 20 ans. Et effectivement, il apparaît plus logique – en tout cas selon les critères d’aujourd’hui ! – que Pollione tombe amoureux d’une femme plus jeune que Norma. En outre, le spectacle salzbourgeois a bénéficié d’une nouvelle version critique de la partition due à Maurizio Biondi et Riccardo Minasi et d’une orchestration sur instruments d’époque. Pour leur part, les metteurs en scène Patrice Caurier et Moshe Leiser ont transposé l’intrigue dans la France de 1942, avec Norma et Adalgisa dans le clan des partisans, et Pollione dans celui des occupants. Le spectacle a rencontré un énorme succès et obtenu plusieurs distinctions, la prise de rôle de Cecilia Bartoli ayant été unanimement saluée par la critique. La production a été reprise cet été à Salzbourg, toujours avec le même succès. Elle vient d’être présentée, pour quatre représentations, à l’Opernhaus de Zurich, où Cecilia Bartoli est chez elle, et partira à Monaco en février prochain. D’autres théâtres pourraient l’accueillir d’ici là.
Qu’on partage ou non les considérations de Cecilia Bartoli sur les typologies vocales de Norma, force est de reconnaître que son identification au rôle est proprement époustouflante. La chanteuse donne l’impression d’être totalement investie dans son personnage, qui a des allures d’Anna Magnani dans Rome, ville ouverte. La prêtresse descend ici de son autel pour se faire femme amoureuse et blessée, et mère tourmentée par l’avenir de ses enfants. Pas d’imprécations ni de grondements, mais des murmures et des susurrements. Le célèbre « Casta Diva » est chanté dans un souffle de voix, presque inaudible – la marque de fabrique désormais de Cecilia Bartoli – avec une longueur de ligne ahurissante et un contrôle total de la voix, sans parler de la parfaite maîtrise des vocalises. Une prestation d’exception. En Adalgisa, Rebeca Olvera déploie un timbre clair, jeune et rond, contre-point idéal à celui de Cecilia Bartoli. Avec John Osborn, le rôle de Pollione est confié à un ténor léger et raffiné qui a le sens des nuances. Il convient de mentionner aussi le travail remarquable accompli par le Chœur de la radio-télévision suisse italienne. Dans la fosse, Giovanni Antonini se montre curieusement avare de subtilités en préférant offrir une lecture solennelle et martiale. Au rideau final, Cecilia Bartoli et tous les artisans de ce spectacle sont accueillis par une ovation debout d’une salle en délire. Assurément, Norma restera comme l’une des incarnations les plus abouties de la chanteuse romaine.
Claudio Poloni
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