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Mahagonny chez Berlusconi Roma Teatro Costanzi 10/06/2015 - et 8, 11, 13, 15, 17 octobre 2015 Kurt Weill : Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny Iris Vermillion (Leokadja Begbick), Dietmar Kerschbaum (Fatty), Willard White (Trinity Moses), Measha Brueggergosman (Jenny Hill), Brenden Gunnell (Jim Mahoney), Christopher Lemmings (Jack O’Brien, Tobby Higgins), Eric Greene (Bill, dit Pennybankbill), Neal Davies (Joe, dit le Loup d’Alaska), Chiara Pieretti, Marika Spadafino, Carolina Varela, Giovanna Ferraresso, Michela Nardella, Silvia Pasini (Six jeunes filles de Mahagonny)
Coro del Teatro dell’Opera, Roberto Gabbiani (chef du chœur), Orchestra del Teatro dell’Opera, John Axelrod (direction musicale)
Graham Vick (mise en scène), Stuart Nunn (décors et costumes), Ron Howell (chorégraphie), Giuseppe Di Iorio (lumières)
(© Yasuko Kageyama/Opera Roma)
Refermant la boucle d’une saison inaugurée avec Rusalka, Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny prend également le large des incontournables classiques italiens que le Teatro Costanzi n’a pas manqué de mettre à l’affiche au cours de l’année, soulignant symboliquement, par-delà les difficultés circonstancielles, le souci d’élargissement du répertoire de la part de l’institution lyrique romaine – et que confirment les mois à venir.
Coproduction avec la Fenice de Venise et la Palau de les Arts Reina Sofia de Valence, la mise en scène de Graham Vick réactualise le théâtre de Brecht dans l’Italie contemporaine, avec quelques apartés en langue vernaculaire, dans une profusion d’allusions et clins d’œil à la limite, çà et là, de la saturation. La crise des migrants n’est pas passée sous silence, quand le tribunal et l’exécution de Jim Mahoney empruntent leurs codes à la télévision de Berlusconi, avec force interruptions publicitaires enjoignant le (télé-)spectateur à rester devant l’écran – dont la scène ne fait d’ailleurs pas l’économie, telle une loupe grossissant ce qui se passe sur le plateau. Dans ce monde de paillettes qui se veut le miroir caricatural du nôtre, le plus grand crime est celui de n’avoir pas d’argent. La scénographie de Stuart Nunn n’évite pas toujours l’excès, et la permissivité du deuxième acte mêle la gourmandise cannibale à la luxure dans une transgression des tabous parfois plus convenue que choquante. L’ensemble parvient cependant à restituer l’essentiel de l’originelle force corrosive de l’ouvrage, quitte à céder, dans le finale, à une invasion militante des protagonistes dans la salle attendue quoique d’une puissance théâtrale indéniable.
A la tête de l’orchestre de la maison, John Axelrod sait mettre en valeur les couleurs et les chromatismes de la partition, dont il révèle l’éclectisme assumé et maîtrisé, tout autant que l’efficacité avec laquelle elle suggère les variations dans l’écoulement du temps – en particulier l’attente, si souvent présente au cours de l’intrigue. On peut regretter que cette juxtaposition avertie des climats ne parvienne pas toujours à restituer une tension dramatique architecturée sur l’ensemble de la soirée, tout en reconnaissant le travail réalisé avec une phalange qui n’a inscrit que récemment Weill à son répertoire.
Côté solistes, Iris Vermillion n’épargne pas à Leokadja Begbick les râles de la cupidité. Aux côtés de la présence évidente de Willard White en Trinity Moses, à la voix tantôt charnue, tantôt plus rocailleuse, Dietmar Kerschbaum affirme l’insolence de Fatty. Measha Brueggergosman concentre toute la séduction de Jenny Hill, à la chaleur aux accents parfois vénéneux. Brenden Gunnel fait évoluer Jim Mahoney de l’audace à la vulnérabilité avec une crédibilité sensible. Christopher Lemmings se montre pareillement convaincant en Jack O’Brien et en Tobby Higgins. Mentionnons encore le Bill d’Eric Greene et le Joe, le Loup d’Alaska, de Neal Davies, tandis que les six jeunes filles de Mahagonny sont dévolues à un sextuor non dénué d’à-propos – Chiara Pieretti, Marika Spadafino, Carolona Varela, Giovanna Ferraresso, Michela Nardella et Silvia Pasini – sans oublier le chœur, préparé vigoureusement par Roberto Gabbiani, au diapason de la conception du spectacle.
Gilles Charlassier
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