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Un beau, riche, mais inégal Freischütz

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
09/14/2015 -  et 10, 12 septembre 2015 (Hamburg)
Carl Maria von Weber : Der Freischütz
Véronique Gens (Agathe), Nikolai Schukoff (Max), Christina Landshamer (Aennchen), Yorck Felix Speer (Kouno), Miljenko Turk (Ottokar), Franz-Josef Selig (L’Ermite), Dimitry Ivashchenko (Gaspard), Christoph Liebold (Kilian), Graham F. Valentine (Samiel)
WDR Rundfunkchor Köln, NDR Chor Hamburg , NDR Sinfonieorchester Hamburg, Thomas Hengelbrock (direction)


T. Hengelbrock (© Karl Forster)


Débuter la saison du Théâtre des Champs-Elysées par le Freischütz, sans aucun doute le chef-d’œuvre de Weber, était assurément une bonne idée. Cet opéra, véritablement fondateur de l’opéra allemand du XIXe siècle, a la réputation d’être difficile à mettre en scène. Rien de mieux donc qu’une version de concert pour profiter pleinement des richesses infinies de cette partition unique. Telle était en tout cas l’option retenue par le Théâtre des Champs-Elysées en cette rentrée. Le rôle parlé de Samiel consistait en une version française (due à Cécile Cotté et Graham F. Valentine) du texte de l’écrivain allemand Steffen Kopetzky, récemment établi à partir du livret original de Johann Friedrich Kind. Si Graham F. Valentine assure avec professionnalisme ce rôle, le texte obscurcit plus qu’il n’éclaire le propos, déjà un peu confus, sans même parler des surtitres des parties chantées qui, par deux fois, ont disparu à des moments inopportuns...


Mais il y eut beaucoup de bonheurs musicaux en cette soirée. Une fois n’est pas coutume, mais à tout seigneur tout honneur, évoquons d’emblée la très haute qualité du chœur, un personnage à part entière dans cette œuvre. Pour l’occasion, deux chœurs de radio allemands (Cologne et Hambourg) étaient réunis. Ces soixante chanteurs ont fait une brillante et impressionnante démonstration de l’excellence chorale allemande. Unisson, justesse, précision, nuances, projection, engagement tout y était pour le plus grand plaisir de l’auditeur, pas habitué à un tel niveau choral en France. Le justement célèbre chœur des chasseurs a d’ailleurs été applaudi comme un passage soliste: un signe qui ne trompe pas. Et lorsque l’on se rendait compte que la magnifique intervention de Kilian au tout début de l’œuvre était faite par Christoph Liebold, une basse du chœur qui reprenait ensuite sa place auprès de ses collègues, on saisissait mieux le pourquoi d’un tel niveau choral. Il en était de même lors du chœur des demoiselles d’honneur au troisième acte, avec un refrain chanté à quatre reprises par quatre soprani du chœur. Une telle excellence chorale, individuelle et collective, fait décidément rêver...


Parmi la distribution, deux interprètes se sont hissés à un très haut niveau musical et interprétatif. Il s’agit de l’Annchen de Christina Landshamer, au timbre chaud et lumineux, à la ligne conduite avec intelligence et à l’interprétation à la fois précise et juste. Elle en volait même la vedette à l’Agathe de Véronique Gens, qui sans démériter, paraissait moins à l’aise et surtout moins concernée que sa cousine: dommage. Dans le rôle de Gaspard, Dimitry Ivashchenko a lui aussi montré tout son talent: voix somptueuse sur toute la tessiture, incarnation maléfique à souhait et ligne imperturbable, y compris dans les acrobaties inchantables du premier acte. Du très grand art. Déception en revanche, du côté de Max avec un Nikolai Schukoff certes très engagé mais limité dans les aigus et à la projection insuffisante. Dommage car le musicien est bien là et les graves et le médium sont magnifiques. Franz-Josef Selig est un ermite d’anthologie avec un legato qui n’appartient qu’à lui et des graves d’une impressionnante rondeur. L’apparition à la toute fin de l’œuvre de l’Ottokar de Miljenko Turk est un autre moment fort de cette représentation: en quelques minutes, et avec une belle autorité, il parvient à imposer par la noblesse et la beauté de son chant tout son personnage.


L’Orchestre de la NDR de Hambourg est un ensemble de bon niveau et sans vraie faiblesse mais qui ne se hisse pas au niveau des grandes phalanges européennes. Les violons sonnent parfois un peu pauvres et les violoncelles peinent à unir leurs phrasés; quant aux bois et surtout aux cuivres, ils sont précis et ne dérapent jamais, ce qui, dans une œuvre qui les sollicite beaucoup, est essentiel. Mais l’ensemble a tout de même belle allure et surtout joue avec l’esprit et l’énergie nécessaires. Futur chef associé de l’Orchestre de Paris, Thomas Hengelbrock, qui dirige comme à son habitude sans estrade au milieu de ses musiciens, arrive la plupart du temps à insuffler une belle énergie, de la ligne et du souffle à l’ensemble. Usant de contrastes marqués, il ne parvient toutefois pas complétement à unifier une partition il est vrai changeante. Par moments, il semble même moins concerné, voulant sans doute laisser la musique se faire, mais c’est au prix d’une petite perte d’intensité dans l’interprétation. Parmi les très nombreux moments très réussis, outre toutes les scènes avec chœur, on retiendra notamment le superbe solo de violoncelle dans la cavatine d’Agathe au troisième acte et surtout la romance d’Annchen avec alto obligé, un alto au chant raffiné et élégant qui a la bonne idée de venir dialoguer au-devant de la scène avec une Christina Landshamer manifestement charmée et complice. La célèbre scène de la Gorge aux loups qui termine le deuxième acte manque elle un peu de la folie contrôlée que Carlos Kleiber y mettait.


Un beau, riche, mais inégal Freischütz donc. Il s’en est fallu de peu pour que la magie opère complètement. Décidément, cette musique fascinante ne se livre pas facilement même en version de concert...



Gilles Lesur

 

 

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