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(Not) Funny Games Paris Opéra Bastille 09/12/2015 - et 14*, 16, 19, 23, 26 et 29 septembre, 2, 6, 11, 16, 18 octobre 2015 Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni, K. 527 Artur Rucinski (Don Giovanni), Alexander Tsymbalyuk (Il Commendatore), Maria Bengtsson (Donna Anna), Matthew Polenzani (Don Ottavio), Karine Deshayes (Donna Elvira), Alessio Arduini (Leporello), Fernando Radó (Masetto), Nadine Sierra*/Gaëlle Arquez (Zerlina)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Alessandro Di Stefano (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Patrick Lange (direction)
Michael Haneke (mise en scène), Christoph Kanter (décors), Annette Beaufaÿs (costumes), André Diot (lumières)
(© Vincent Pontet/Opéra national de Paris)
Du huis clos du monde de la finance à la falsification du dénouement voulu par Lorenzo Da Ponte, on ne reviendra pas sur les principes qui guident le Don Giovanni (1787) de Mozart revu par Michael Haneke pour l’Opéra de Paris, dont ConcertoNet a rendu compte dès sa création, en 2006, sur la scène de Garnier, comme à l’occasion de sa translation à Bastille en 2007 et lors de ses reprises, en 2012 ou début 2015.
Plus les années passent et plus la mise en scène du réalisateur autrichien convainc qu’elle doit être lue au regard de ce que représente l’œuvre cinématographique de Haneke: une exploration des diverses facettes de la subversion et de la dépression, une plongée au cœur des névroses contemporaines, une dérive vers la souffrance sociale, la dégradation morale, physique, mentale. De ce point de vue, la reprise que propose Stéphane Lissner paraît plus accomplie que jamais: les silences pèsent toujours autant, l’obscurité continue de mettre mal à l’aise, le décor unique n’empêche jamais les climats de varier et les impressions d’évoluer.
Hélas, les interprètes choisis pour ce spectacle apportent bien peu de réjouissances. A commencer par le chef Patrick Lange, dont la direction sans épaisseur ni relief n’est certes pas dénuée de belles intentions – dans le souci constant de respecter le chant comme dans d’épisodiques traits de vivacité en fosse – mais s’enfonce la plupart du temps dans une passivité assez incompréhensible. Voire dans une routine peu avenante – à l’image de l’accompagnement du «Là ci darem la mano», d’«Ah! Fuggi il traditor» ou encore de «Batti, batti, o bel Masetto», d’une platitude vide. La formation parisienne gagnerait, au demeurant, à plus de tenue pour densifier les accords et les lignes.
L’équipe de chanteurs laisse également sur sa faim. Pour posséder le bon registre et une certaine élégance dans le chant – comme en atteste un très probant «Deh! Vieni alla finestra» –, le Don Giovanni d’Artur Rucinski pèche par un excès de neutralité et un manque d’appropriation du personnage imaginé par Haneke – échouant à faire oublier le souvenir du magnétique Peter Mattei. Quant au Leporello très fade d’Alessio Arduini (...qu’on n’ose même pas comparer au charismatique Luca Pisaroni), il se révèle tout à la fois sans faute de goût, sans puissance et sans frisson. L’Elvira de Karine Deshayes frôle par instants l’erreur de casting – avec sa présence un peu gauche sur scène –, mais se rattrape dans un second acte où elle trouve l’emphase qui manquait tant au premier – sans toutefois se parer de la dimension tragique que l’on attend du rôle.
L’Anna de Maria Bengtsson est l’élément vocal le plus séduisant de la distribution: ne lui fait défaut qu’un surcroît de puissance pour faire pleinement frémir ses fortissimos comme ses notes les plus aiguës. Mais le velouté du timbre est un délice pour l’oreille. Très applaudi, l’Ottavio de Matthew Polenzani dispose certes de fort beaux atouts – dans un rôle exigeant et trop souvent massacré. Il s’avère, en revanche, dépourvu d’émotion (dans le jeu) et de variété (dans le timbre), comme s’il cherchait à «rouler des mécaniques» par l’exposition de la solidité technique de son vibrato.
Plastiquement crédible et spécialement investie sur scène, la Zerlina de Nadine Sierra doit elle aussi domestiquer son vibrato pour faire épanouir un timbre aujourd’hui ordinaire. Elle doit, du reste, surveiller sa justesse... Avec ses graves profonds, le Commandeur d’Alexander Tsymbalyuk réussit sa prise de rôle, mais l’amplification de sa voix au deuxième acte empêche de se faire une idée très précise de ses atouts. Signalons, pour finir, le Masetto prometteur de Fernando Radó, jeune basse argentine aux graves encore bruts (de décoffrage) mais à la présence conquérante.
Gilles d’Heyres
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