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Le triomphe du plaisir Paris Théâtre des Champs-Elysées. 03/24/2001 - Haendel Il trionfo del Tempo e del Disinganno
Laura Aikin (la Beauté), Véronique Gens (le Plaisir), Sonia Prina (la Désillusion), Christophe Prégardien (le Temps). Il Giardino Armonico, direction Giovanni Antonini
On contredira sans vergogne le titre de cet oratorio profane de Haendel, le Triomphe du Temps et de la Désillusion, pour dire que la représentation qu'en a donnée Il Giardino Armonico fut le triomphe du plaisir et de la poésie.
Ce Trionfo del Tempo e del Disinganno est le premier oratorio de Haendel mais il connaîtra une destinée singulière et émouvante puisqu'à deux reprises, le compositeur reviendra sur cette partition et notamment, un demi-siècle plus tard, lorsque quasiment aveugle, il en dictera une nouvelle mouture baptisée cette fois The Triumph of Time and Truth, qui sera son dernier oratorio. A l'aube de sa carrière, en 1707, Haendel travaille sur un livret du cardinal Pamphili qui met en scène quatre personnages, la Beauté, le Plaisir, la Désillusion et le Temps, interprétés par deux soprani, une mezzo et un ténor. Argument : la Beauté qui a juré fidélité au Plaisir est rappelée à l'ordre par le Temps et la Désillusion. Après maintes hésitations, merveilleusement rendues par la musique de Haendel, elle se rangera sous leur houlette et délaissera le Plaisir pour la Vérité.
L'ensemble Il Giardino Armonico semble la pointure idéale pour ce type de musique : ni trop nombreux (bien loin des masses longtemps imposées dans la musique de Haendel) ni trop peu, afin de pouvoir rendre les effets dramatiques dont la musique est émaillée. Giovanni Antonini a même très habilement ajouté un second clavecin qui lui permet des effets théâtraux quand c'est nécessaire. Particulièrement remarquables, les deux hautboïstes jouent des instruments au son merveilleusement fruité ressortant bien sur les cordes. Très heureux effet aussi de la flûte à bec par deux fois utilisée par le chef lui-même, depuis son pupitre, pour accompagner un aria particulièrement mélancolique.
Quant aux solistes, chacun a su caractériser son personnage : Laura Aikin, la Beauté, a parfaitement traduit sa lente évolution de la désinvolture vers la prise de conscience ; elle a su composer avec un rôle souvent virtuose, malgré un certain manque de puissance de sa voix. Pour elle, le dispositif scénique imaginé par Giovanni Antonini a sans doute été un peu contraignant puisque les quatre solistes étaient placés à l'arrière de l'ensemble orchestral sur une estrade, ce qui les mettait en valeur mais les éloignait aussi un peu du public. L'acoustique des Champs-Elysées faisant son œuvre, il a pu s'ensuivre par moments une projection insuffisante de la voix. Ce qui ne fut en tous cas pas le problème de Véronique Gens qui a campé un Plaisir plein de vitalité et de fougue et a admirablement chanté le très célèbre air de la seconde partie Lascia la spina. Superbe aussi et très engagée dramatiquement, Sonia Prina, notamment dans ses grands arias soutenus par la flûte (un quinteux malvenu a manqué se faire lyncher par le public pour n'être pas sorti de la salle !). Christophe Prégardien parfait comme d'habitude, notamment dans sa diction.
On a décrié le livret, un peu redondant il est vrai, mais tout l'intérêt de cette représentation est d'avoir su montrer la capacité de Haendel, évidente dès cette œuvre de jeunesse, à dramatiser l'action, à exprimer par la musique les contrastes les plus saisissants, à composer de sublimes arias, à animer l'effectif orchestral d'effets évocatifs en tous genres, frissons, ruisseaux, colère, doute.
Nul doute que dans ce domaine Il Giardino Armonico est un maître incontesté pour traduire au plus près chaque intention du compositeur, n'hésitant pas à forcer le trait juste ce qu'il faut, produisant des sons flûtés ou caverneux à souhait, jouant la fougue débridée ou la plus intense mélancolie avec la même réussite.
Florence Trocmé
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