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Bach et ses fils

Clermont-Ferrand
Saint-Hilaire-la-Croix (Eglise)
08/13/2015 -  
Johann Sebastian Bach : Die Kunst der Fuge, BWV 1080: Contrapunctus XIV (arrangement Kalevi Aho) – Concerto pour violon n° 2, BWV 1042 – Concerto pour violon en sol mineur, BWV 1056
Johann Christoph Friedrich Bach : Symphonie en ré mineur, WFV I:3, BR C 4
Wilhelm Friedemann Bach : Sinfonia en fa, F. 67

Orchestre d’Auvergne, Amaury Coeytaux (violon et direction)


(© Instant tonique)


Si son siège est situé à Pontaumur, le festival Bach en Combrailles propose des concerts dans toute la région à laquelle il emprunte son nom, par exemple jusqu’à Saint-Hilaire-la-Croix, certes situé à seulement 35 kilomètres à vol d’oiseau mais à près de 60 kilomètres par la route. Le déplacement ne suscite cependant pas le moindre regret: dans un cadre bucolique, le site du prieuré roman du Lac-Roy – devenu, par déformation, «La Croix» – mérite en effet la visite. C’est son église (XIIe) qui accueille la petite vingtaine de cordes (et, le cas échéant, un clavecin) de l’Orchestre d’Auvergne, fidèle de longue date du festival, avec Amaury Coeytaux (né en 1984), qui fut son premier violon (2008-2012) – le poste ne sera de nouveau pourvu qu’en fin d’année – avant d’exercer les mêmes fonctions au sein de l’Orchestre philharmonique de Radio France.


Un seul nom à l’affiche – Bach, bien sûr – mais trois compositeurs, Jean-Sébastien étant suivi du premier et du neuvième de ses fils, respectivement Wilhelm Friedemann (1710-1784) et Johann Christoph Friedrich (1732-1795), le «Bach de Bückeburg», petite cité basse-saxonne où il vécut l’essentiel de sa vie, comme l’a rappelé Gilles Cantagrel dans sa présentation liminaire. Il ne pouvait en revanche hélas pas savoir que le programme était erroné, puisque l’œuvre de Wilhelm Friedemann fut finalement jouée après celle de Johann Christoph Friedrich, qui, quant à elle, contrairement à ce qui était indiqué, n’était pas en mi bémol majeur mais en mineur.


Le père d’abord, avec le Contrapunctus XIV de son ultime Art de la fugue, dont Gilles Cantagrel souligne à juste titre que s’il s’interrompt brusquement sur l’énoncé des quatre notes correspondant, dans la notation allemande, au nom de Bach, il n’est pas inachevé mais incomplet – les dernières mesures ont simplement disparu. Dans une réalisation attribuée au Finlandais Kalevi Aho (né en 1949), les cordes, sans vibrato, sonnent bien mieux que dans la plupart des édifices religieux mais le ton reste uniment morose.


Amaury Coeytaux interprète ensuite deux concertos: l’un, bien connu, en mi majeur, est le second des deux Concertos pour violon qui nous sont parvenus; après l’entracte, l’autre, plus brillant, en sol mineur, n’est autre qu’une reconstitution du Concerto pour clavecin en fa mineur (avec son fameux Largo central), dont on peut en effet supposer qu’il était originellement écrit pour violon. Bien que l’orchestre ait été allégé d’un instrument par partie, le soliste, s’il phrase avec élégance et vainc les difficultés techniques, ne se détache pas toujours suffisamment, mais le résultat, remisant les velléités d’authenticité qui s’étaient exprimées dans le Contrapunctus, est d’excellente facture et donne à entendre un Bach en pleine santé.


Place à la génération suivante, avec Johann Christoph Friedrich Bach, exact contemporain de Haydn, ce qui s’entend dans les trois mouvements de carrure très classique de sa Symphonie en ré mineur (1768) – le dernier sera bissé en fin de concert – qui ne sont pas sans évoquer les premières contributions au genre du maître d’Esterháza. De vingt-deux ans son aîné, Wilhelm Friedemann Bach s’aventure quant à lui, dans sa Symphonie en fa (vers 1740), un peu à la manière de son frère cadet Carl Philipp Emanuel, vers des régions harmoniques inexplorées par leur père, mais revient à l’âge baroque dans le Menuet conclusif et son double. Si, dans ce répertoire, les formations sur instruments anciens apportent généralement une vitalité et une finesse accrues, l’Orchestre d’Auvergne, mené avec enthousiasme par Amaury Coeytaux depuis sa place de premier violon qu’il a reprise pour l’occasion, se défend néanmoins avec une grande probité, à la grande satisfaction d’un public venu, une fois de plus, très nombreux.


Tous les midis en l’église Saint-Michel (XIXe) de Pontaumur, les «auditions d’orgue» gratuites, l’une des spécificités du festival, bénéficient aussi d’une belle affluence. Les auditeurs ne sont pas seulement attirés par les prestations des artistes ou par le commentaire éclairé de Gilles Cantagrel, mais, assis sur des travées orientées vers la tribune, ils viennent également pour l’orgue, qui, pour être très récent, n’en possède pas moins une histoire sortant de l’ordinaire. Il s’agit en effet d’une copie réalisée à l’initiative de Jean-Marc Thiallier, fondateur de la manifestation, par le facteur creusois François Delhumeau et harmonisé par l’Allemand Berndt Kuhnel, de l’instrument construit à Arnstadt (Thuringe) par Johann Friedrich Wender, dont le tout jeune Bach fut le premier titulaire de 1703 à 1707 (suivi par son cousin Johann Ernst Bach). Inauguré en février 2004 par Marie-Claire Alain et Gottfried Preller, actuel cantor de la Bachkirche d’Arnstadt (ainsi qu’elle est dénommée depuis 1935), il est accordé, si l’on en croit le programme, au la à 465 Hz selon un tempérament d’après Neidhardt et comprend vingt-deux jeux.


En ce jeudi midi, l’instrument est bien sûr en vedette, avec deux Préludes de choral du Petit Livre d’orgue – «Wenn wir in höchsten Nöten sein» et «Herr Christ, der ein’ge Gottes-Sohn» – puis le Prélude et Fugue BWV 535 en sol mineur (et non «majeur» comme indiqué dans le programme): la jeune étudiante dijonnaise Mathilde Verguet se tire convenablement de ce diptyque datant des premières années de Bach, dont Gilles Cantagrel a préalablement rappelé la grande virtuosité. Elle est ensuite rejointe par sa sœur Armelle pour le premier mouvement du Concerto pour violon en la mineur, où la partie soliste est confiée, de façon assez inattendue, au saxophone soprano: elle aussi s’en tire avec les honneurs, car il faut du souffle pour remplacer le violon dans ces pages! En outre, l’alliage des timbres fonctionne bien, ce qui n’est pas nécessairement surprenant, car l’orgue en accompagne aussi bien d’autres avec succès (trompette, hautbois, violon...), mais ici, la fusion est souvent si étroite que c’en est presque comme s’il était doté d’un jeu supplémentaire. Les spectateurs, en tout cas, ont apprécié, et les deux musiciennes reprennent le morceau en entier.


Le site d’Amaury Coeytaux
Le site de l’Orchestre d’Auvergne



Simon Corley

 

 

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