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Rencontre au sommet Verbier Eglise 07/30/2015 - Robert Schumann : Dichterliebe, opus 48 – Variations sur un thème original en mi bémol majeur «Geistervariationen», WoO 24 – Sechs Gesänge, opus 89 – Sechs Gedichte, opus 80 Matthias Goerne (baryton), Menahem Pressler (piano)
M. Pressler, M. Goerne (© Nicolas Brodard)
On ne peut soupçonner le festival de Verbier de servir à son public, comme tant d’autres manifestations estivales, des programmes standards que l’on retrouve identiques d’une ville à l’autre. Très souvent il offre des rencontres singulières entre artistes présents «ici et maintenant» autour d’œuvres qui ne font pas forcément partie de leurs répertoires respectifs. La rencontre entre Menahem Pressler, fondateur et pianiste durant cinquante-trois ans du défunt Beaux-Arts Trio, légende vivante de la musique et désormais nonagénaire, assumant de nouveau depuis près de dix ans une carrière de soliste, et Matthias Goerne, le meilleur, osons l’écrire, Liedersänger de l’ère post-Fischer-Dieskau, est de celles-là. Un moment de musique pure, singulier et inoubliable dans l’acoustique parfaite de l’église de Verbier et le mystère de la nuit montagnarde.
Comment ne pas être d’emblée étranglé d’émotion en voyant s’avancer avec une lenteur prudente la frêle silhouette du pianiste, qui relève à peine d’une convalescence chirurgicale et qui désormais avance difficilement, agrippé au bras du colosse qu’est le baryton saxon aussi précautionneux que s’il transportait le Saint-Sacrement?
Plus que dans les grandes salles où du fait de son habitude déplorable de bouger comme une girouette la voix de Matthias Goerne se disperse dans des directions tout à fait imprévisibles: dans l’église de Verbier, on a pu entendre avec toutes les étonnantes nuances dont il est capable et avec cette fusion entre le texte et la musique devenue denrée introuvable, des Amours du poète inoubliables d’immédiateté et de concentration. Même si Pressler donne parfois plus l’impression de suivre que de mener la barque, la splendeur de son accompagnement, sa science de ne mettre en évidence que ce qui importe musicalement et la richesse de sa sonorité sont immenses et offraient au chant de Goerne un écrin parfait.
Menahem Pressler a enchaîné avec les rares Variations des esprits, dernière œuvre intime et fantomatique écrite par Schumann après son saut dans le Rhin et juste avant son admission à l’asile où il finira ses jours. Plongée dans la musique la plus étrange du compositeur dans laquelle le pianiste allemand a bien mis en évidence que, dans une forme plus que classique quand on sait comme il est allé loin dans l’art de la variation avec les Etudes symphoniques, la mélodie et l’harmonie se dérobaient dans l’inspiration du compositeur au cerveau déjà atteint.
Les douze lieder qui suivaient (d’après von der Neun et Lenau), pas parmi les plus chantés, étaient pour la fusion entre le chanteur et le pianiste beaucoup plus aboutis que le Dichterliebe, qui comportait çà et la de très minimes imprécisions de rythme ou de tempo. Moins à l’aise avec ces lieder dont il avait le texte sous les yeux, Goerne s’est montré très rigoureux et Pressler semblait plus l’y précéder que le suivre comme parfois dans le Dichterliebe.
Emouvant et passionnant concert et rencontre probablement unique devant un public très conscient de l’événement et également reconnaissant.
Olivier Brunel
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