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La Grave

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Un rêve devient réalité

La Grave
Téléphérique des glaciers de la Meije, station 2400
07/18/2015 -  
Richard Strauss : Tod und Verklärung, opus 24
György Ligeti : Lontano
Olivier Messiaen : Et exspecto resurrectionem mortuorum

Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)





En été, Olivier Messiaen montait à pied depuis le village de La Grave pour aller contempler le fantastique site naturel du massif de la Meije, pics aux contours aigus, glaciers appendus aux murailles rocheuses... le spectacle est grandiose. Aujourd’hui, c’est un téléphérique qui permet d’accéder beaucoup plus facilement au même belvédère, à 2400 m d’altitude : un amphithéâtre naturel herbeux au-dessus du vide, avec à l’arrière-plan un panorama exceptionnel.


Au cours de l’été 1964, c’est au moins en partie là que Messiaen a cherché l’inspiration d'Et exspecto resurrectionem mortuorum, pour orchestre de bois, cuivres et percussions métalliques, initialement une commande d’André Malraux en hommage aux morts des deux guerres mondiales, créée à la Sainte-Chapelle à Paris en mai 1965. Messiaen commente son œuvre ainsi : « Je l’ai conçue pour être jouée dans une église, en supposant la résonance, l’aura et même les rebondissements de sons que l’on peut obtenir dans un tel lieu ». Mais il ajoute aussitôt une idée contradictoire: « J’ai même désiré son exécution en plein air et dans la haute montagne, à La Grave, face au glacier de la Meije, dans ces paysages puissants et solennels qui sont ma vraie patrie », situation dont on pourrait attendre a priori des résonances beaucoup plus amorties (la montagne est certes omniprésente sur le site, mais les murailles rocheuses sont loin). Face à la puissance d’un tel panorama on comprend évidemment l’idée : l’interaction possible entre la majesté d’une telle musique et celle de cet environnement-là, fût-elle davantage psychologique que réellement sonore.


Une utopie, car comment faire monter tout un orchestre et son public à un endroit pareil ? Gaëtan Puaud, directeur du festival Messiaen au pays de la Meije, s’est posé la question depuis de nombreuses années et a fini par oser relever le défi, à l’occasion du cinquantenaire de l’œuvre: construction sur place d’une estrade de 16 mètres sur 16 pour l’orchestre, acheminement du public et des musiciens par téléphérique (de petites cabines pour sept ou huit occupants à chaque fois, au maximum : il faut donc prévoir des temps d’accès inhabituellement longs), voire transport des plus gros instruments par hélicoptère, hélitreuillage des classiques malles d’orchestre au bout d’un filin, à raison de plusieurs navettes entre vallée et lieu du concert. Un projet pharaonique, surtout pour un festival de cette taille, et qui n’a pu être réalisé qu’en fédérant toutes les bonnes volontés de la vallée.


Après plusieurs années de tractations, Marko Letonja et l’Orchestre philharmonique de Strasbourg ont fini par se prêter à ce projet un peu fou, en n’hésitant pas à corser la difficulté : l’ajout au programme de Mort et transfiguration de Strauss impose en effet de monter aussi là-haut tout l’effectif des cordes, deux harpes... En tout, en cette après-midi ensoleillée de juillet, ce sont donc quatre-vingt quatorze musiciens qui arrivent par petits groupes, nombreuses silhouettes noires, joyeusement incongrues dans un tel paysage, et qui s’installent sur l’estrade, devant un panorama à couper le souffle.



(© Colin Samuels)


Compte tenu de la longueur du trajet, le public a été incité à venir tôt, et s’installe déjà, en tenue de randonneurs, assis à même l’herbe. A 15 heures; tous les instruments sont déballés, les partitions installées et le raccord peut commencer. Malheureusement, comme souvent en montagne, c’est aussi l’heure de l’orage après une journée d’été et quelques nuages menaçants passent au-dessus du sommet la Meije. Malgré le vent qui affole les partitions et fait surgir des dizaines de pinces à linge sur les pupitres, la répétition commence, par Mort et transfiguration de Strauss. Bois et cuivres découvrent de curieux problèmes de respiration (eh oui, on est à 2400 m d’altitude !), les harpistes entendent le vent provoquer d’harmonieux phénomènes dans leur instrument, et le public doit se familiariser avec une acoustique de plein air qui varie beaucoup selon l’orientation par rapport au vent. Les accords de Strauss restent lisibles, mais les effets de masse sont modifiés, inhabituels, intéressants. En tout cas la beauté du site et l’étrangeté de la situation laissent espérer un concert hors normes. Malheureusement, l’exécution s’arrête cinq minutes avant la fin de l’œuvre, quelques gouttes de pluie commençant à tomber.



(© Colin Samuels)


On rentre les instruments les plus fragiles, on bâche les objets sensibles et la répétition continue avec ce qui craint un peu moins l’eau : les vents et les percussions de l’œuvre de Messiaen. Changement de plateau, et entre quelques rares gouttes de pluie et quelques lumineuses éclaircies le grand moment peut avoir lieu : Et exspecto resurrectionem mortuorum joué dans ce cadre écrasant. Une œuvre pensée comme un instant métaphysique de démesure sonore mais que la majesté de ce décor renvoie finalement à des proportions plus dérisoires, mais quand même émouvantes. Là encore, après ce premier contact, on attend l’événement, une fois que les instruments auront peut-être mieux pris leurs marques.


Mais ce moment ne viendra pas. Sept minutes avant le début officiel du concert l’orage se rapproche, la pluie s’intensifie, les pompiers s’alarment et recommandent l’annulation. Musiciens et public refluent, et en l’absence d’informations et d’abris suffisants font immédiatement la queue au téléphérique pour redescendre... laissant aux organisateurs le goût amer d’un projet dans lequel ils ont tant investi, et qui a échoué de si peu ! Pas de solution de rechange possible : les instruments ne peuvent être redescendus à temps pour un éventuel repli dans la vallée, et le lendemain l’orchestre repart.


Sauf erreur, ConcertoNet n’a jamais rendu compte d’un concert... qui n’a pas eu lieu ! Mais en l’occurrence l’utopie a bien été réalisée : jouer au moins une fois Et exspecto resurrectionem mortuorum dans ce cadre exceptionnel dont Messiaen rêvait. L’exploit, certes atteint d’extrême justesse, est accompli. Après un premier moment d’abattement Gaëtan Puaud a même repris espoir. Peut-être osera-t-il recommencer un jour !



Laurent Barthel

 

 

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