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Otello sauvé par les chanteurs Milano Teatro alla Scala 07/04/2015 - et 7, 10, 14, 17, 20, 24 juillet 2015 Gioachino Rossini : Otello, ossia il Moro di Venezia Gregory Kunde (Otello), Olga Peretyatko (Desdemona), Juan Diego Flórez (Rodrigo), Edgardo Rocha (Jago), Roberto Tagliavini (Elmiro Barberico), Annalisa Stroppa (Emilia), Nicola Pamio (Doge), Sehoon Moon (Un Gondoliere), Davide Baronchelli, Guillero Esteban Bussolini, Alberto Paccagnini, Vincenzo Alaimo (Seguaci di Otello)
Coro del Teatro alla Scala, Bruno Casoni (préparation), Orchestra del Teatro alla Scala, Muhai Tang (direction musicale)
Jürgen Flimm (mise en scène et décors), Gudrun Hartmann (co-metteur en scène), Anselm Kiefer (idée des décors), Ursula Kudrna (costumes), Sebastian Alphons (lumières)
(© Matthias Baus/Teatro alla Scala)
L’Otello de Rossini (créé en 1816 à Naples) n’avait plus été représenté à Milan depuis... 1870, c’est dire si cette nouvelle production était attendue avec impatience. Malheureusement, le spectacle n’a pas été à la hauteur des espérances, se terminant – comme souvent à la Scala – par des huées particulièrement violentes à l’encontre du chef et de toute l’équipe de production, alors que les chanteurs ont été relativement épargnés, Juan Diego Flórez recevant même une véritable ovation. Décidément, le vénérable théâtre milanais n’usurpe pas sa réputation de fosse aux lions. S’il faut bien admettre que ni le chef ni le metteur en scène n’ont guère brillé, est-il besoin néanmoins de les sanctionner si bruyamment ? Le public de la Scala, c’est sûr, ne s’embarrasse pas de scrupules et répond oui.
Pour ce qui est de la mise en scène, cette exhumation milanaise d’Otello mérite malheureusement le qualificatif de service minimum. Le décor unique et sobre a été conçu d’après une idée d’Anselm Kiefer, certainement l’un des artistes contemporains allemands les plus réputés. Il représente un grand salon délimité sur trois côtés par d’immenses tentures grises. Au milieu du plateau trône une longue table entourée de chaises pliantes, sur lesquelles prennent place des notables en noir, tous âgés, en tête desquels le doge, accueillant Otello à son retour de bataille. Au IIe acte, Rodrigo et Desdémone sont assis sur ces mêmes chaises de pique-nique pour célébrer leurs noces. Et au dernier acte, une gondole sert de lit puis de tombe à Desdémone, alors que les tentures s’agitent pour évoquer l’orage qui s’abat sur Venise. Dans ce spectacle, tout tourne autour de Desdémone ; c’est elle qui, pour vouloir préférer Otello à Rodrigo, fait les frais d’une société rigide et bigote, corsetée dans ses conventions, avec un père n’hésitant pas à la malmener avec violence. Autant le concept est maigre, autant la direction d’acteurs est sommaire, les personnages étant à peine caractérisés. Service minimum donc... Le spectacle étant coproduit avec le Staatsoper de Berlin, on est déjà curieux de savoir comment réagira le public de la capitale allemande.
Dans la fosse, les choses, malheureusement, ne prennent pas une meilleure tournure. Muhai Tang est le premier chef chinois à diriger à la Scala. Fidèle de l’Opernhaus de Zurich pendant l’ère Pereira, il a été appelé à Milan pour remplacer John Eliot Gardiner, initialement prévu. Le maestro asiatique connaît bien l’œuvre pour l’avoir déjà dirigée à Zurich en 2012, avec Cecilia Bartoli, mais sa lecture d’alors n’avait pas entièrement convaincu. A Milan, il déçoit. Si l’Ouverture s’annonce pétillante et nuancée, les choses se gâtent par la suite, avec une direction manquant de légèreté et qui finit par se révéler monotone et ennuyeuse, sans parler de fréquents décalages avec les chanteurs.
Les chanteurs, justement, sauvent le spectacle du naufrage. A commencer par un Juan Diego Flórez au sommet de son art, Rodrigo ardent au chant noble et élégiaque, au style hors pair et surtout aux aigus lumineux qui font chavirer la salle au terme de son grand air du IIe acte (Ah ! come mai non senti). Olga Peretyako met sa belle voix et son art belcantiste au service d’une Desdémone délicate et raffinée, avec des sons filés et une longueur de souffle époustouflants, malgré quelques difficultés dans l’extrême aigu et une projection clairement limitée. Gregory Kunde campe un Otello particulièrement héroïque avec un timbre qui s’est assombri et enrichi dans le grave. Le ténor américain doit être aujourd’hui le seul chanteur à interpréter les deux plus célèbres Otello du répertoire, celui de Verdi et celui de Rossini. L’impression globale que laisse sa prestation reste toutefois mitigée, avec un centre de la tessiture aujourd’hui pratiquement inexistant, des problèmes d’intonation, des notes forcées et un style peu orthodoxe qui lui vaut quelques huées au rideau final. Malgré une voix au faible volume, Edgardo Rocha incarne un Iago aux aigus clairs et rayonnants, un personnage qui, ici, n’est pas l’incarnation du mal absolu comme dans Verdi. Parmi les rôles secondaires, il convient de citer la superbe Emilia d’Annalisa Stroppa, servante à la voix ronde et délicieusement ambrée.
Claudio Poloni
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