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Une Armide virtuose et accomplie

Nancy
Opéra
06/21/2015 -  et 24, 26*, 28, 30 juin 2015
Jean-Baptiste Lully : Armide
Judith van Wanroij (La Gloire, Phénice, Mélisse), Marie-Claude Chappuis (La Sagesse, Sidonie, Une bergère héroïque, Lucinde), Marie-Adeline Henry (Armide), Andrew Schroeder (Hidraot), Marc Mauillon (Aronte, La Haine), Julian Prégardien (Renaud), Patrick Kabongo (Artémidore), Fernando Guimarães (Le chevalier danois, Un amant fortuné), Ubalde (Julien Véronèse), Hasnaa Bennani (Une nymphe des eaux), CCN-Ballet de Lorraine
Chœur de l’Opéra national de Lorraine, Merion Powell (chef de chœur), Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (direction musicale)
David Hermann (mise en scène), Petter Jacobsson, Thomas Caley (chorégraphie), Jo Schramm (décors, vidéo), Patrick Dutertre (costumes), Fabrice Kebour (lumières)


(© Opéra national de Lorraine)


Si le baroque français retrouve désormais las faveurs des théâtres lyriques, le porter à la scène demeure une gageure, en particulier dans sa version lullyste. Avec Armide, David Hermann l’a relevée d’une manière admirable. Le spectacle réussit à trouver un rythme qui jamais ne se relâche, là où d’autres, tel un Carsen, s’abîment dans une mollesse autoréférentielle à la virtuosité vaine et coûteuse. La production nancéenne présente d’ailleurs le mérite rare de livrer, sans insistance excessive, ni condescendance aucune, sa lisibilité au public.


L’alternance de déclamations narratives et de séquences dansées se résout dans une dialectique entre passé et présent, entre fiction et réel, dont le prologue, présenté façon court-métrage documentaire, donne un avant-goût plus qu’extensif, au systématisme parfois presque facile: un long travelling quasi ininterrompu part de la place Stanislas et suit un cape dorée que l’on peut deviner être celle du Roi Soleil, à la gloire duquel est consacrée, selon les règles du genre, la partie inaugurale de l’ouvrage. Le souverain entre dans l’Opéra de Nancy, par la porte des artistes, jusqu’au foyer avant que le rideau ne se lève. Son ascension est ponctuée par un contrepoint: le sommet de la hiérarchie sociale se mêle à ses tréfonds, avec des gueux baignant dans la fange, les pustules et le sang. Dans cette peinture plus crue que nature et qui révulse çà et là, les figurants se sont donnés à cœur joie, tandis que la caméra ménage des gros plans sur les traces murales de l’usage dans les coulisses que l’on ne remarque généralement pas, où l’iconoclasme poétique le dispute à la redondance.


On retrouve ensuite le procédé avec les ballets, où le premier acte se joue comme la répétition des songes ou des entrailles infernales des deuxième et quatrième actes: la chorégraphie élégante de Petter Jacobsson et Thomas Caley, qui renouvelle, sans servilité, les codes baroques, s’immisce ainsi dans la trame dramatique. Cette intelligente mise en abyme du théâtre n’oublie pas le comique, sans pour autant sacrifier l’émotion. Les gargouilles sculptées par la lumière dans les passages fantastiques ne se contentent pas de rappeler l’épopée des croisades; elles confirment la profonde unité de la scénographie, des décors et vidéos réalisés par Jo Schramm, qui redonnent une nouvelle fraîcheur, intemporelle sinon moderne, aux perspectives de carton-pâte, et des lumières de Patrice Kebour.


Quoique l’on en puisse discuter les mérites, entre autres sur la précision dans la diction, la distribution vocale rend justice à la partition comme au livret de Quinault. Dans le rôle-titre, Marie-Adeline Henry semble plus d’une fois se mettre dans les pas de Stéphanie d’Oustrac, et assombrit les accents de son personnage quand la passion le fait vaciller. Sa présence indéniable s’affirme souvent au-delà de l’antichambre de l’aura. Elle se trouve remarquablement chaperonnée par Judith van Wanroij et Marie-Claude Chappuis, Phénice et Sidonie, qui endossent également les vêtements de La Gloire – où elle se montre impérieuse – et de Mélisse pour la première, et de La Sagesse, une bergère héroïque et Lucinde pour la seconde. En Renaud, Julian Prégardien n’évite pas toujours quelques faiblesses exogènes à sa composition. Andrew Schroeder ne démérite nullement en Hidraot, à l’instar de l’Artémidore de Patrick Kabongo. Fernando Guimarães ne manque point de vaillance en chevalier danois et amant fortuné, quand Julien Véronèse ne ménage pas la puissance des emportements d’Ubalde. On n’oubliera pas la nymphe des eaux, dévolue à Hasnaa Bennani. Mais l’incarnation qui domine l’ensemble demeure celle de Marc Mauillon, dont l’Aronte n’offre qu’un préliminaire à l’exubérance de sa Haine, où le génie de son timbre particulier et de son expressivité s’exprime dans toute sa magistrale amplitude.


On saluera le travail réalisé par Merion Powell avec le Chœur de l’Opéra national de Lorraine, qui se signale par une cohérence aussi belle que la justesse linguistique, trouvant assurément en Christophe Rousset un évident soutien. A la tête de son orchestre des Talens Lyriques, le chef français confirme non seulement sa maîtrise du corpus lullyste, mais aussi une générosité sonore qui s’est épanouit ces dernières années, et dont on goûte ici les fruits avec délectation dans des couleurs vives et enrichies. Sa baguette respire avec un naturel qui magnifie les détails et les modulations au plus près des ressources du texte, et sait rendre ce soin communicatif. Il ne reste plus à cette excellente coproduction entre le CCR-Ballet de Lorraine et l’Opéra national de Lorraine que de tourner: elle le mérite absolument.



Gilles Charlassier

 

 

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