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Sobre et émouvante intimité Nantes Théâtre Graslin 05/19/2015 - et 21, 24, 26, 28 mai (Nantes), 14, 16* juin (Angers) 2015 Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Eugène Onéguine, opus 24 Charles Rice (Eugène Onéguine), Gelena Gaskarova (Tatiana), Claudia Huckle (Olga), Suren Maksutov (Lenski), Oleg Tsibulko (Le prince Grémine), Diana Montague (Madame Larina), Stefania Toczyska (Filipievna), Eric Vignau (Monsieur Triquet), Eric Vrain (Le capitaine, Zaretski)
Chœur d’Angers Nantes Opéra, Xavier Ribes (chef de chœur), Mikaël Weill (ténor solo), Orchestre national des Pays de la Loire, Lukasz Borowicz (direction musicale)
Alain Garichot (mise en scène), Elsa Pavanel (décor), Claude Masson (costumes), Marc Delamézière (lumière), Cooky Chiapalone (chorégraphie)
(© Angers Nantes Opéra/Jef Rabillon)
A l’heure où les budgets se resserrent les uns après les autres, on ne saurait négliger les reprises, a fortiori quand les productions n’ont pas pris une ride. L’Eugène Onéguine qu’Alain Garichot avait réglé pour l’Opéra de Lorraine en 1997, qui avait été également été présenté à Genève et qu’Angers Nantes Opéra reprend pour sa fin de saison constitue, à ce titre, un exemple remarquable qu’il convient de saluer. Il s’appuie sur une scénographie aussi sobre et poétique élaborée par Elsa Pavanel: la province campagnarde est peuplée de troncs nus aux teintes pastel auxquels se joignent les villageois pendant les festivités du deuxième acte, s’immobilisant pendant le drame qui se noue entre Lenski et Onéguine, et en cela au diapason de la dynamique musicale. La beauté plastique et évocatrice se retrouve chez le Prince Grémine, sous le dais d’un immense globe lunaire cratérisé. L’ensemble forme un écrin de choix pour le travail humble et sensible que la mise en scène a réalisé sur l’ouvrage de Tchaïkovski, qualité qu’il faut d’autant plus souligner qu’elle devient rare à l’heure où fantasmes et iconoclasme prennent souvent le pouvoir sur les plateaux lyriques.
Celui que l’institution nantaise et angevine a réuni recherche la fidélité aux intentions du compositeur, privilégiant des gosiers jeunes et crédibles à la puissance sonore. Avec le baryton franco-britannique Charles Rice, le rôle-titre prend le contrepied des couleurs slaves habituellement attendues, mais ne fait pas pour autant l’impasse sur l’intensification progressive de l’incarnation au fil de la soirée. La Tatiana de Gelena Gaskarova palpite d’une passion qui affleure sous la timidité de la jeune et que le monologue enfiévré de la lettre fait éclater, tandis que son évolution maritale au troisième acte ne la corsète nullement, équilibrant sincérité et retenue. Le Lenski de Suren Maksutov vibre d’un engagement inconditionnel, minorant les réserves que pourraient objecter les inconditionnels de mezza voce sur le souffle que d’aucuns ont pu verser dans les oreilles des mélomanes – l’air «Ouda, ouda» étant à cette aune la pierre de touche. Le Grémine d’Oleg Tsibulko emporte en revanche une adhésion inconditionnelle par sa basse aussi profonde que nourrie et son legato d’une indéniable noblesse. Le contraste entre une madame Larina encore vive de Diana Montague et la très mate Olga de Claudia Huckle peut inverser la perspective naturelle des générations, dans laquelle s’inscrit sans difficulté la nourrice Filipievna interprétée par Stefania Toczyska. Le Triquet d’Eric Vignau ne démérite aucunement, ni Eric Vrain en capitaine et Zaretski. N’oublions pas les chœurs, efficacement préparés par Xavier Ribes, ni la direction intelligente et délicate de Lukasz Borowicz, qui détaille les lignes mélodiques et les pupitres, plus posés qu’enrobés, avec une clarté presque chambriste. Indiquons pour finir que l’Opéra de Tours reprendra l’année prochaine cette belle production, avec l’excellence de Jean-Yves Ossonce à la baguette.
Gilles Charlassier
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