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Chef-d’œuvre réhabilité

Toulouse
Théâtre du Capitole
05/15/2015 -  et 17, 19, 22, 24 mai 2015
Sergueï Prokofiev : Les Fiançailles au couvent ou La Duègne, opus 86
John Graham-Hall (Don Jérôme), Garry Magee (Don Ferdinand), Anastasia Kalagina (Louisa), Elena Sommer (La Duègne), Daniil Shtoda (Don Antonio), Anna Kiknadze (Clara d’Almanza), Mikhail Kolelishvili (Isaac Mendoza), Vladimir Kapshuk (Don Carlos), Alexander Teliga (Père Augustin), Vasoly Efimov (Frère Elustaphe, Premier Masque), Marek Kalbus (Frère Chartreuse, Deuxième Masque), Thomas Dear (Frère Bénédictine, Troisième Masque), Chloé Chaume (Lauretta), Catherine Alcoverro (Rosina), Claude Minich (Premier Novice, Pablo), Emmanuel Parraga (Deuxième Novice, Pedro), Alfredo Poesina, Lopez), Carlos Rodriguez (Miguel)
Chœur du Capitole de Toulouse, Alfonso Caiani (direction des chœurs), Orchestre national du Capitole de Toulouse, Tugan Sokhiev (direction musicale)
Martin Duncan (mise en scène), Alison Chitty (décors et costumes), Paul Pyant (lumières), Ben Wright (chorégraphie)


(© Patrice Nin)


Prokofiev ne figure pas parmi les compositeurs les plus joués en France, et dans cette relative méconnaissance, Toulouse a su, depuis plusieurs décennies, faire partition à part. Quelques années après la création française du Joueur, dirigée par Jean Périsson en 1966, Michel Plasson révèle au public du Capitole Les Fiançailles au couvent. Vingt-huit ans plus tard, en 2011, la première française en langue originale de l’ouvrage se tiendra sur cette même scène, en coproduction avec l’Opéra Comique, dans une brillante mise en scène de Martin Duncan que Frédéric Chambert a la bonne idée de remettre à l’affiche cette saison.


Adapté de Sheridan par le compositeur avec sa seconde épouse, la poétesse Mira Mendelssohn, le livret croise trois intrigues amoureuses, que le spectateur finit par démêler au fil de la soirée: Don Jérôme s’accorde avec la riche marchand de poissons Mendoza pour lui donner sa fille Louisa comme épouse – dont il a entendu vanter les qualités sans jamais l’avoir vue, là réside le sel de l’histoire – laquelle est amoureuse du désargenté Antonio, tandis que le frère de la jeune femme, Ferdinand, est épris de l’ancienne maîtresse de son ami. Mais il reste la Duègne, intéressée par les devises du commerçant, qui complotera avec Louisa pour se faire passer pour cette dernière, faisant échouer les projections paternelles, dans un couvent.


Sans céder à la tentation réaliste, la scénographie aussi théâtrale que poétique d’Alison Chitty, aux réminiscences graphiques futuristes et meublée de chaises empilées, de portes, d’une ronde et grosse lune et découvrant habilement les coulisses, nourrit la crédibilité de l’histoire où l’on se laisse rapidement embarquer. Les lumières vivantes autant que délicates de Paul Pyant y remplissent un rôle significatif, quand les chorégraphies enlevées de Ben Wright se révèlent de remarquables complices à un jeu d’acteur qui sait tirer les ficelles de la comédie et de ses volte-face avec un art consommé.


Si les yeux reçoivent leur content, les oreilles ne sont pas laissées pour compte, loin de là. Reprenant largement la distribution de la première série de représentations, le plateau montre d’égales aptitudes en vocalité et en expressivité, dominé entre autres par la Louisa fruitée et aérienne d’Anastasia Kalagina, idéalement sensible, distillant un délicieux soupçon de mutinerie. Daniil Shtoda lui donne une juvénile réplique en Antonio, quand Garry Magee affirme en Ferdinand nuancé et un métier abouti. Celui du Mendoza de Mikhail Kolelishvili ne souffre aucun reproche, portant à la perfection l’assurance du cocu de l’affaire. Le charme de la Clara idiomatique d’Anna Kirknadze ne manque pas non plus d’opérer. Les truculents frères Elustaphe et Chartreuse de Vasily Efimov et Marek Kalbus, dans une mémorable scène de beuverie monacale qui ne l’est pas moins, ne sauraient être passés sous silence.


Les nouveaux venus se mêlent sans heurt aux anciens, à commencer par l’allophone Don Jérôme de John Graham-Hall, qui ne l’est nullement dans le style, dans une composition de ténor de caractère où il se glisse avec un naturel admirable. En Duègne, Elena Sommer en fait égale preuve, sans avoir besoin de forcer un personnage, dont le seul nez en trompette suffit à l’inénarrable caricature de disgrâce faciale. La génération montante n’est pas oubliée, avec le Carlos savoureux de Vladimir Kapshuk. Le Père Augustin d’Alexander Teliga, aux graves patelinés et repus d’ivresse, ne lui cède en rien. Mentionnons encore le Bénédictine de Thomas Dear, ainsi que la Lauretta de Chloé Chaume. Membres d’un Chœur du Capitole en grande forme, préparé par Alfonso Caiani, Catherine Alcoverro, Rosina, Claude Minich et Emmanuel Parraga, novices autant que Padro et Pedro, ainsi qu’Alfredo Poesina et Carlos Rodriguez en Lopez et Miguel, complètent le tableau.


L’on ne saurait terminer la recension sans saluer la direction de Tugan Sokhiev, qui fait sonner l’Orchestre du Capitole avec une plénitude digne d’éloges. Sa baguette ne se réduit pas à un instinct russe – qu’il saurait au demeurant communiquer à ses musiciens. L’originalité de Prokofiev s’entend avec éloquence, tout autant que la dynamique du canevas général, dont on goûte le maillage rythmique comme l’envers d’une inspiration mélodique non moins foisonnante. On ne saurait mieux réhabiliter un chef-d’œuvre mal connu.



Gilles Charlassier

 

 

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