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Aventures et nouvelles aventures Geneva Victoria Hall 04/29/2015 - et 30 avril (Lausanne), 1er mai (Genève) 2015 Richard Wagner: Siegfried Idyll
Jean Sibelius: Concerto pour violon, opus 47
John Adams: Harmonielehre Leonidas Kavakos (violon)
Orchestre de la Suisse Romande, Markus Stenz (direction)
M. Stenz (© Josep Molina)
Siegfried-Idyll de Richard Wagner, le Concerto pour violon de Jean Sibelius et Harmonielehre de John Adams. Voici un programme intelligent et curieux qui réunit trois compositeurs de différentes périodes qui ont écrit des œuvres où le soin du développement et de ce que l’on appelle la longueur de la ligne est décliné avec les styles qui leur sont propres.
Le souvenir du Ring genevois en encore dans nos mémoires et cela pouvait sembler une bonne idée que de démarrer ce programme avec Siegfried-Idyll. Dans la pratique, ce n’est pas si simple. L’introduction piano aux cordes est délicate pour des musiciens qui ont quelques petits problèmes de justesse. On ne les sent surtout pas très présents. Peut-être ne sont-ils pas tout à fait convaincus par des tempi un peu rapides du chef, peut-être surtout sont-ils déjà en train de penser à la suite de ce programme exigeant.
C’est un ensemble bien plus concentré qui suit. Le murmure des cordes du début du Concerto pour violon de Sibelius est exemplaire de clarté. Les instrumentistes ont tous le même coup d’archet, signe du travail qui a dû être réalisé durant les répétitions. Leonidas Kavakos, qui joue avec un nouveau violon baptisé «Aphrodite», prend son temps et trouve une plénitude et une sérénité inhabituelles dans une œuvre habituellement associée à certain dramatisme nordique. Markus Stenz apporte un soin particulier aux équilibres des différents pupitres de l’orchestre. Que ce soit dans les phrasés, la recherche de longs crescendos, l’harmonie entre les conceptions du soliste et le soutien du chef est réelle, et ce bien plus que lorsque le violoniste grec était dans cette même salle avec l’Orchestre symphonique de la BBC dans le Concerto de Brahms. Voici en fin de compte une conception originale de ce Concerto, plus chambriste qu’épique servi par des artistes d’une grande éloquence.
Dans sa passionnante autobiographie Hallelujah Junction, John Adams explique qu’en arrivant en Californie, il avait ressenti que sa musique représentait une synthèse des styles du passé. Il y a dans ses pièces une utilisation des techniques définies par les Reich, Glass et Riley mais l’ambition, le développement, la grandeur et surtout la profondeur des œuvres d’Adams font qu’elles représentent un prolongement de celles, entre autres, d’un Sibelius, compositeur qu’Adams a souvent dirigé. Si le premier mouvement de l’Harmonielehre – le titre est une référence au livre d’Arnold Schoenberg – démarre par une série d’accords martelés très rythmés que des groupes de musiciens continuent à jouer, la musique se transformant progressivement en une longue mélodie aux cordes pleine de mystère et évocatrice jusqu’à ce que reviennent des passages plus brillants. Le deuxième mouvement («The Amfortas Wound») fait référence à la blessure qui ne se referme pas du Roi du Graal, que l’on retrouve bien évidement dans Parsifal. Elle démarre aux cordes graves dans une atmosphère mahlérienne et ce n’est pas complètement un hasard si ce mouvement reprend vers sa fin l’accord violent et dissonant de l’Adagio de la Dixième Symphonie de Mahler, dont le tissu harmonique se transforme selon des techniques de musique répétitive. Le troisième mouvement («Meister Eckhardt and Quackie») est une évocation de la fille du compositeur mélangeant une berceuse pleine de douceur et des passages rythmés pleins de brillance. Comme à la fin du Boléro de Ravel, il y a à la fin changement de tonalité plein de lumière par rapport aux accords sombres du début. Voici une œuvre originale et forte, moderne et accessible, un chef-d’œuvre d’un compositeur qui n’avait à cette époque «que» 37 ans et qu’on ne saura trop recommander de découvrir.
Peut-on vraiment appréhender la terrible difficulté que représente pour tout musicien une telle œuvre ? Tous les pupitres sont très exposés. Le caractère répétitif de l’œuvre et ses évolutions progressives font que l’on va remarquer le moindre décalage. Il y a sur scène une tension particulière et des regards des musiciens qui ne trompent pas. Si leur niveau technique leur permet de jouer pratiquement sans chef de nombreuses œuvres, ils sont ici face à une partition très exigeante qu’ils ne connaissent pas et qui demande une rigueur implacable et une concentration sans faille. La qualité de cette exécution doit beaucoup à Markus Stenz. Le chef allemand est un familier de la musique contemporaine. Sa battue est claire et rassurante et il apporte beaucoup de soin aux équilibres entre les masses sonores dans cette œuvre orchestrée de façon particulière. Il s’impose également par une présence physique et une autorité qui font que la tension ne se relâche pas. Il y a ici et là dans l’exécution quelques petits accrocs mais jouer une telle œuvre représente un tel effort et les musiciens qui sont humains ont le droit d’être un peu fatigués. Musiciens et chef peuvent être fiers de leur prestation et le public se dit qu’il reste encore tant de chefs-d’œuvre de John Adams à découvrir.
Ce que concert nous apporte surtout, c’est un réel sentiment de découverte, une impression que les musiciens prennent des risques instrumentaux tout comme artistiques. Il existe de nos jours de nombreuses sources d’accès à la musique classique sans quitter sa maison mais cette soirée pleine de force et d’originalité nous rappelle pourquoi rien ne remplace les émotions que peut procurer un concert sur le vif.
Antoine Lévy-Leboyer
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