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Un spectacle qui fera loi Bâle Theater Basel 02/13/2015 - et 17, 19 février, 2, 8, 18 mars, 12, 18*, 28 avril, 8, 13, 23 mai, 18, 23 juin 2015 Richard Strauss : Daphne, opus 82 Thorsten Grümbel (Peneios), Hanna Schwarz (Gaea), Agneta Eichenholz (Daphne), Rolf Romei (Leukippos), Marco Jentzsch (Apollo), Andrew Murphy (1. Schäfer), Laurent Galabru (2. Schäfer), Zachary Altmann (3. Schäfer), Vivian Zatta (4. Schäfer), Meike Hartmann*/Sofie Asplund (1. Magd), Aidan Ferguson (2. Magd), Ole Paul Driever, Jonas Furrer, Adriano Piccione, Christopher Wayne Havner, Floris Dahlgrün, Andreas Bach (Die jungen Schäfer)
Chœur d’hommes du Theater Basel, Henryk Polus (préparation), Sinfonieorchester Basel, Hans Drewanz (direction musicale)
Christof Loy (mise en scène), Annette Kurz (décors), Ursula Renzenbrink (costumes), Thomas Jonigk, Simon Berger (dramaturgie)
(© Monika Rittershaus)
Daphné, ouvrage créé à Dresde en 1938 sous la baguette de Karl Böhm, est le treizième opéra de Richard Strauss, composé entre Jour de paix et Capriccio. Le librettiste, Joseph Gregor, avait été recommandé au compositeur par Stefan Zweig, écarté du projet par les nazis. Axé sur le personnage mythologique de Daphné, l’argument de l’ouvrage est librement inspiré des Métamorphoses d'Ovide et, dans une moindre mesure, des Bacchantes d'Euripide. Le livret toutefois n’est pas l'œuvre du seul Gregor, étant donné les nombreuses modifications effectuées à la demande de Strauss et les recommandations formulées par Zweig. L’idée de mettre en musique le mythe de Daphne a été inspirée à Gregor par le tableau de Théodore Chassériau Apollon et Daphné.
Une grande fête se prépare pour célébrer la communion des êtres humains avec la nature. Alors que tous attendent l’événement avec impatience, la nymphe Daphné est la seule à en être effrayée, refusant les avances et l’amour des hommes, leur préférant la beauté de la nature. Le berger Leucippe, son ami d’enfance, a grandi et courtise en vain la jeune femme, qui rejette tous ses prétendants. Il entend alors se déguiser en femme pour l’approcher. Un étranger arrive à la fête et exige un baiser de Daphné. L’inconnu n’est autre que le dieu Apollon, ébloui lui aussi par la beauté de la nymphe. Découvrant la supercherie de Leucippe, Apollon le transperce d’une flèche. Touché par les remords de Daphné, qui se considère comme responsable de la mort du berger, Apollon demande à Zeus de la transformer en arbre pour qu’elle se fonde à jamais dans cette nature qu’elle aime tant.
Serait-ce parce que l’effectif orchestral comprend un cor des Alpes ou faut-il y voir un clin d’œil aux origines de Richard Strauss ? On ne saurait le dire, mais toujours est-il que le metteur en scène Christof Loy – juste avant sa fabuleuse Medea à Genève – a choisi de transposer l’action dans une auberge de Bavière, où la bière coule à flots et où les clients portent la culotte de peau. Avec, une nouvelle fois, beaucoup d’intelligence, il balaie toute référence mythologique et, surtout, trouve une solution pour la fin – bancale – de l’œuvre. Evoluant dans un univers masculin oppressant, Daphné est ici la proie de la concupiscence et de la cupidité des hommes, autant de corps à moitié dévêtus et tenus en laisse avec peine. Devant tant de sauvagerie, on comprend mieux son rejet du genre humain et son attachement à la nature. Pour Christof Loy, Leucippe est tué non pas par Apollon mais par Daphné, qui est alors arrêtée par la police, menottée puis conduite en prison pendant la fin – purement orchestrale – de l’ouvrage, une page, soit dit en passant, absolument magnifique. Cette transposition et actualisation habile d’une tragédie bucolique surannée parle aux spectateurs d’aujourd’hui, voilà le grand mérite de Christof Loy.
Le rôle de Daphné, présente de bout en bout de l’ouvrage, est écrasant, à l’image de Salomé ou d’Elektra. Agneta Eichenholz en vient à bout avec maestria, irradiant le plateau de sa présence lumineuse. Les deux ténors ne sont pas en reste, avec le Leucippe touchant de naïveté de Rolf Romei et l’Apollon noble et humain de Marco Jentzsch. On relèvera aussi l’excellente prestation d’Anna Schwarz en Gaea titubante et portée sur la bouteille. L’orchestration est limpide et luxuriante, faisant la part belle aux bois pour exprimer les bruits de la nature. Le chef Hans Drewanz a l’art de laisser la musique éclore, légère et aérienne, lyrique, mais aussi grondante dans les passages plus dramatiques, sans pour autant jamais perdre de vue la dynamique et la cohérence d’ensemble. Le Theater Basel a frappé très fort avec cette nouvelle production de Daphné, à l’affiche encore jusqu’à fin juin.
Claudio Poloni
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