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Un Orphée dédoublé Lyon Opéra 03/14/2015 - et 18*, 19, 21, 24, 25, 27, 29 mars 2015 Christoph Willibald Gluck : Orfeo ed Euridice Christopher Ainslie (Orphée), Victor von Halem (Orphée), Elena Galitskaya (Eurydice), Léo Caniard, Noé Chambriard, Yoan Guérin, Simon Gourbeix, Tom Nermel, Cléobule Perrot (Amour)
Orchestre, Chœurs et Maîtrise de l’Opéra de Lyon, André Kellinghaus (chef des chœurs), Enrico Onofri (direction musicale)
David Marton (mise en scène), Barbara Engelhardt (dramaturgie), Christian Friedländer (décors), Pola Kardum (costumes), Henning Streck (lumières)
(© Stofleth)
Deuxième étape dans ce parcours au fil des «Jardins mystérieux» (voir par ailleurs ici et ici), le voyage dans les Enfers d’Orphée et de Gluck prend un tour singulier avec David Marton, qui avait livré un virtuose Capriccio en mai 2013 pour la capitale rhônalpine. Le metteur en scène hongrois a en effet imaginé un dédoublement du poète, l’un contre-ténor, comme requis par la première version, créée à Vienne en 1762, et ici retenue pour la première fois à Lyon, et une basse pour son alter ego à la fin de sa vie, se souvenant de l’Eurydice à jamais perdue.
Dessiné avec une habileté indéniable par Christian Friedländer, la maison ensablée évoque quelque demeure fantôme au cœur d’un Midwest abandonné à la canicule, si l’on en croit les annonces météorologiques crachotant de la radio. Le dispositif superpose les strates narratives, à l’exemple de la dactylographie projetée au son de la machine à écrire du vieillard solitaire et tirée de la nouvelle Le Calmant de Beckett. A défaut d’une parfaite lisibilité, la poïétique comme la réception esthétique de la musique et celle du texte ne pouvant, par-delà les parallèles ou divergences de contenu, naturellement coïncider, l’ensemble dégage une poésie évidente qui marque le spectateur et ne se laisse pas limiter par une approche qui pourrait se donner comme réaliste. La descente au séjour des morts, éclairée par des lumignons, témoigne de la subtilité du travail de Henning Streck, qui sait distiller les atmosphères du drame, telle l’insouciant pastel de noces rêvées heureuses au début de l’histoire. On retrouve ce halo d’irréalité dans la remontée des ténèbres, au bord de la table de repas, disqualifiant la servilité à la littéralité du texte. Le jeu de continuité initial avec le concret de la représentation par la voix off, et le retour conclusif au rituel du concert, démontrent d’abord un indéniable savoir-faire, sans pour autant oublier le registre de l’émotion, ni l’humour.
La proposition ne manque pourtant pas de paradoxes, élargissant par des silences et des inserts – tel l’assourdissant bruit d’un train à grand vitesse où s’oublie la contemplation du vieil homme – une partition très condensée, à peine théâtrale. Disperser la voix de l’Amour en un chœur de six enfants, d’une belle fraîcheur, revisite avec intelligence la tradition des amorini, tout en suggérant par leur immaculée blancheur la progéniture que le souvenir a maintenue à l’état de désir, interrompu par la séparation du trépas. La répartition des répliques entre les deux Orphée répond à des exigences dramaturgiques efficaces. Quand bien même Gluck privilégiait l’expressivité à la beauté du timbre, le vénérable Victor von Halem sacrifie trop à la vérité naturaliste celle du style, réfugiée dans le contre-ténor Christopher Ainslie, vibrant de musicalité, nonobstant un médium parfois juste. La finesse vocale caractérise également l’Eurydice d’Elena Galitskaya, qui confirme une intéressante maturation. Sa sensibilité aux inflexions du texte est soutenue par l’instinct rhétorique d’Enrico Onofri, tirant de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon des coups d’archet et des accents plus bruts que de coutume, dans le plus pur esprit gluckiste, au service d’une couleur baroquisante que le chef italien prend soin de ne pas galvauder. Préparés par André Kellinghaus, les chœurs et la maîtrise de la maison répondent à cette dynamique.
Gilles Charlassier
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