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Régime allégé façon Afkham Paris Maison de la radio (Auditorium) 03/12/2015 - Ludwig van Beethoven : Coriolan, opus 62
Johannes Brahms : Concerto pour violon et orchestre, opus 77
Béla Bartók : Concerto pour orchestre, sz. 116 Viktoria Mullova (violon)
Orchestre national de France, David Afkham (direction)
D. Afkham (© Felix Broede)
On aurait tort de ne voir en David Afkham qu’un pâle épigone de Bernard Haitink. Né en 1983, le protégé du célèbre chef néerlandais a déjà derrière lui, depuis ses différents prix de direction remportés entre 2008 et 2010, une carrière bien remplie. Dès 2010, l’Orchestre national de France a eu la bonne idée de l’accueillir en tant que chef invité afin d’accompagner Sergey Khachatrian, son cadet. Fidèle à la formation parisienne, l’Allemand revient encore cette année, pour un programme Beethoven/Brahms/Bartók que n’aurait pas renié son mentor Haitink. Mais là où le Néerlandais affectionne les cathédrales sonores admirablement architecturées, l’Allemand préfère la valorisation des détails, l’expression des timbres ou l’attention aux contrastes dynamiques.
Autant de partis pris identifiables dans l’irrésistible Coriolan, ouverture où l’on reconnaît d’emblée la patte de Beethoven. Afkham dirige sans partition, insistant sur les contrechants, particulièrement avec les altos. En allégeant les textures, il impose un Beethoven plus serein, dans une lecture qui reste équilibrée. Le travail sur les pupitres de cordes apporte une individualisation constante, révélant des détails inédits, toujours soutenus par des attaques sèches dans les passages vifs, en un minimum de vibrato – plus dénervées en contraste dans les passages lents. On note aussi un respect des silences assez éloquent, porteur d’une vision résolument plus intellectuelle que sanguine.
Avec le Concerto pour violon de Brahms, l’optique d’Afkham se fait plus déroutante encore. L’introduction orchestrale évite toute effusion lyrique en un tempo presque mécanique, volontiers amateur de beau son, en un souci de faire entendre chaque note. L’entrée du violon surprend par une raideur dans les scansions, bientôt suivie par une souplesse presque indolente de Viktoria Mullova dans les passages plus mesurés. Un violon qui se veut objectif pour gommer tout pathos, au risque d’une certaine sécheresse. La technique parfaite de la violoniste russe impressionne toujours autant, mais on reste saisi par ce tempo mécanique un peu froid. Le deuxième mouvement débute sur un tempo plus rapide, avec des cordes dénervées presque en sourdine, face à un violon toujours aussi rude dans sa virilité sereine. Seules les dernières notes de cet Adagio dévoilent des atmosphères superbes dans les détails de cette vision très analytique. Le final se montre plus réussi avec ses notes déliées, son optique verticale et ses contrastes avec les passages plus doux. En bis, Mullova prouve que cette volonté objective était mûrement réfléchie avec le chef, en interprétant un extrait de la Première Sonate de Bach avec une souplesse et une douceur jusqu’alors inédites. De quoi obtenir une belle salve d’applaudissements avant l’entracte.
La soirée se conclut avec un Concerto pour orchestre de Bartók abordé sous les mêmes auspices. Plus encore que dans les deux œuvres précédentes, on perd ainsi plusieurs fois le fil de l’architecture globale pour se délecter des détails révélés – optique maintenue malgré un orchestre beaucoup plus étoffé. On retrouve dès l’Andante initial les mêmes tics de direction – les passages piano étant joués de manière indolente tandis que les passages forte apparaissent plus secs – particulièrement aux percussions et aux harpes, souvent cinglantes. Une œuvre qui paraît ainsi plus déstructurée, mais plus moderne aussi. Moins de bizarreries pour l’Allegretto scherzando, plus éruptif encore par moment. Mais c’est surtout l’Elegia, qui constitue une réussite avec son début tout en dentelles, ici encore allégé, avant l’impressionnant pathos qui déferle sans ménagement. Afkham continue sur la même lancée dans l’Intermezzo qui parodie Chostakovitch et Lehár, faisant ressortir habilement les interventions des harpes et timbales. Ces dernières sont à nouveau sollicitées en une violence sauvage dans le brillant final, ici beaucoup moins spectaculaire qu’à l’habitude avec des cordes comme en sourdine. Les cuivres eux-mêmes adoptent un ton mesuré, évitant tout triomphalisme, tandis qu’Afkham insiste sur les nuances pour rapprocher Bartók de... Bruckner. Seule la toute fin déçoit quelque peu, le dernier tutti étant précédé d’un intermède beaucoup trop allégé – une fois encore – pour préparer cette ultime scansion.
Florent Coudeyrat
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