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Programme paradoxal Versailles Opéra royal 03/06/2015 - et 2 (Alicante), 3 (Madrid), 5 (Fribourg), 7 (Luzern), 8 (Basel) mars 2015 Luigi Cherubini : Lodoïska: Ouverture
François Devienne : Concerto pour flûte et orchestre n° 7 en mi mineur
Wolfgang Amadeus Mozart : Andante pour flûte et orchestre en ut majeur K. 285e [315]
Christoph Willibald Gluck : Concerto pour flûte et orchestre en sol majeur
Joseph Haydn : Symphonie n° 103 en mi bémol majeur, «Roulement de timbales» Emmanuel Pahud (flûte)
Kammerorchester Basel, Giovanni Antonini (direction)
E. Pahud (© Peter Adamik/EMI Classics)
Au début de l’année 2012, Emmanuel Pahud avait enregistré un disque en l’honneur de Frédéric II de Prusse, donnant à cette occasion un concert à Versailles sous la direction du chef anglais Trevor Pinnock. Trois ans plus tard, on avance dans le temps pour, cette fois-ci, se plonger dans la période révolutionnaire à l’occasion de la sortie d’un nouveau disque édité chez Erato. S’il peut être paradoxal de donner un programme révolutionnaire sous les ors d’un des plus beaux symboles de l’absolutisme royal, les pièces choisies pour ce concert ne l’étaient pas moins. S’il est vrai que François Devienne (1759-1803) fut un flûtiste et un bassoniste virtuose (auteur de très nombreuses œuvres pour la flûte et d’une célèbre Méthode de flûte augmentée de leçons et de principes de musique; de plusieurs exercices pour les Clefs; d’airs nouveaux et de leçons préparatoires en Duo), on ne peut pas en dire autant de Mozart ou de Haydn qui furent pourtant également à l’honneur ce soir. Néanmoins, ce fut sans doute l’occasion d’entendre de bien belles œuvres jouées sur la scène de l’Opéra royal, sous la direction d’un autre grand flûtiste, Giovanni Antonini, fondateur du célèbre ensemble Il Giardino Armonico.
Même si l’opéra Lodoïska (1791) de Luigi Cherubini (1760-1842) a connu un certain regain d’intérêt au point d’ailleurs d’avoir été donné en 2010 au Théâtre des Champs-Elysées, seule l’Ouverture continue de bénéficier d’une certaine popularité. Dans cette page aux interventions savamment dosées, l’Orchestre de chambre de Bâle fait valoir de belles sonorités et l’alliance entre instruments d’époque (les cuivres) et modernes (les flûtes notamment) est du plus bel effet, entraîné par la direction très vive de Giovanni Antonini.
Parmi les rares portraits le représentant, un tableau de David nous montre François Devienne tenant dans ses mains une flûte. Même s’il a laissé derrière lui quelques opéras, c’est en effet surtout par ses compositions pour cet instrument qu’il est resté célèbre. Pantalon, chemise et veste noirs, Emmanuel Pahud s’avance sur scène d’un pas décidé et c’est bien ainsi qu’il doit véritablement empoigner cette œuvre au premier mouvement incroyablement virtuose. Le flûtiste, par ailleurs solo des Berliner Philharmoniker depuis maintenant plus de vingt ans, fait montre d’une incroyable technique (les détachés, l’agilité des doigts): comme on dit chez les musiciens, «ça tricote»! Au diapason des exigences requises chez le soliste, l’orchestre est virevoltant et entraîne les auditeurs dans des bourrasques sonores insoupçonnées. Après un deuxième mouvement assez convenu (thème, réexposition, cadence confiée au soliste...), le concerto s’achève par un magnifique Rondo allegretto qui n’est pas sans préfigurer les sonorités du troisième mouvement du célèbre concerto de Mercadante.
Aussi étonnant cela puisse-t-il peut-être paraître, difficile ensuite de passer à l’Andante pour flûte de Mozart qui est beau, certes, mais convenu et sans grande imagination: ce n’est pas parce que Mozart est à la plume qu’il faut crier au génie à chaque fois! Plus intéressant ensuite, le Concerto pour flûte de Gluck débute par un premier mouvement qui fut l’exact opposé du premier mouvement du concerto de Devienne: ici, l’attention se porte sur la mélodie et sur le style galant et non sur la technique qui, même si elle est présente, ne se fait jamais véritablement sentir. Il en fut de même dans le deuxième mouvement, d’une infinie délicatesse digne d’une porcelaine de Sèvres, Pahud jouant cette page avec une extraordinaire sobriété. Chaleureusement applaudi (après un accueil du public jusque-là plus poli qu’enthousiaste), le flûtiste nous fit entendre une nouvelle page virtuose, un Rondo en sol majeur, due cette fois-ci au compositeur Antoine Hugot (1761-1803), surtout connu pur avoir été un des grands professeurs de flûte du Conservatoire national de musique réorganisé par la Convention le 16 thermidor an III, soit le 3 août 1795 (sur ce sujet, on pourra se reporter au livre d’Adélaïde de Place La Vie musicale en France au temps de la Révolution, Fayard, pp. 268 sq.). Ce Rondo mêla très adroitement la technique de Devienne dans un premier temps avant que la nonchalance rythmique de Gluck ne reprenne le dessus dans un second: là encore, démonstration sans faille de Pahud, sans conteste un des plus brillants représentants de sa génération.
Le programme se conclut par une des plus célèbres symphonies londoniennes de Haydn, la Cent-troisième dite «Roulement de timbales». Sous la double houlette de Giovanni Antonini et de la Konzertmeisterin Yuki Kasai (irréprochable dans le solo confié au violon dans le deuxième mouvement de la symphonie), le Kammerorchester Basel donna une interprétation vivante de cette symphonie même si le premier mouvement a pu nous sembler parfois manquer de dynamisme tant dans la rythmique que dans les plans sonores, assez étales. Pour autant, une bien belle version. Enfin, en bis, Antonini choisit de prolonger l’époque révolutionnaire avec le premier mouvement (Allegro) de la Première Symphonie en sol mineur (1808) d’Etienne-Nicolas Méhul (1763-1817): magnifique conclusion qui rappelle à qui veut bien l’entendre que ce répertoire, extrêmement intéressant, ne demande qu’à être ressuscité.
Un coup d’œil en rentrant: la statue de Louis XIV sur la Place d’armes est bien toujours là... Ouf! Le programme «révolutionnaire» n’a pas été si radical que ça!
Le site d’Emmanuel Pahud
Le site de l’Orchestre de chambre de Bâle
Sébastien Gauthier
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