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Au-delà de l’Histoire

Paris
Maison de la radio (Auditorium)
03/05/2015 -  
Alfredo Casella : Elegia eroica, opus 29
Modeste Moussorgski : Chants et Danses de la mort
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 10, opus 93

Olga Borodina (mezzo)
Orchestre national de France, Gianandrea Noseda (direction)


G. Noseda (© Sussie Ahlburg)


Public clairsemé pour Gianandrea Noseda, malgré la présence d’Olga Borodina, une star du lyrique malgré tout. Dommage : on sait que chacun de ses concerts vaut la peine. La concurrence de Jeanne au bûcher, le même soir, à la Philharmonie, avec Marion Cotillard, une autre star ?


L’Elegia eroica d’Alfredo Casella, curieusement, sert de hors-d’œuvre à un programme russe comme les affectionne le chef. Mais c’est l’occasion de découvrir un compositeur intéressant, qui a dû payer, comme certains de ses compatriotes, son soutien appuyé au régime de Mussolini. Une figure de l’Europe musicale de l’entre-deux guerres en tout cas, marié en premières noces à une Française, adepte, du moins à une certaine époque, d’une modernité qui lui attira les foudres des conservateurs. Hommage à un soldat tombé au combat, l’Elégie, ainsi, entre explosions de violence et mélopées funèbres, tient à la fois de la fresque et de la plainte, avec des dissonances dignes de Stravinsky ou de Schönberg. Gianandrea Noseda dirige ce thrène en coloriste et en narrateur, conjuguant la puissance épique et la mélancolie nostalgique.


Les Chants et Danses de la mort, de Moussorgski, évoquent aussi les champs de bataille, à travers « Le Général d’armée » : on ne s’éloigne donc pas tout à fait de la partition de Casella. Olga Borodina y déploie son somptueux mezzo, au médium et au grave cuivrés : la chanteuse d’opéra n’a pas de mal à incarner tous les personnages, jouant sur les nuances et sur les couleurs, très proche du texte, que ce soit pour une « Berceuse » pleine d’étrangeté, un « Trepak » hagard ou un « Général d’armée » halluciné. Mais la caractérisation ne frise jamais l’histrionisme, la ligne reste impeccablement tenue, la direction d’orchestre soulignant toute l’âpreté de l’orchestration de Chostakovitch. Et on la découvre plus subtile que parfois sur scène.


Si la mezzo tient sa voix en bride, Noseda garde aussi la haute main sur ses musiciens dans la Dixième Symphonie – ne nous fions pas aux apparences de cette direction très physique, parfois presque chorégraphique. Dès le Moderato la lecture est dosée, construite, unitaire, d’une implacable clarté : il privilégie la polyphonie plutôt que la masse sonore, rappelant tout ce que Chostakovitch doit à la grande tradition germanique. Pas d’excès d’émotion : il refuse d’en faire une « Pathétique » – pas plus qu’il n’en fait une fresque épique, assez loin d’une certaine école russe. Plus qu’un portrait de Staline, d’une noirceur démoniaque, on percevra d’ailleurs dans l’Allegro furieux un Scherzo de symphonie, anguleux et implacable, d’une éblouissante virtuosité. Les relents mahlériens de l’Allegretto ne seront pas non plus mis en exergue, la direction s’attachant d’abord à la forme, comme dans l’Andante-Allegro final, acéré, tendu, animé d’un irrésistible élan jusqu’à l’apothéose jubilatoire du DSCH final – selon la notation allemande. Superbe interprétation, déconnectée sans doute des circonstances de la composition – la mort de Staline – et qui prouve ainsi que la musique de Chostakovitch, du moins celle de certaines partitions, peut aujourd’hui se situer au-delà de l’Histoire. Soumis à rude épreuve par la partition et par la direction, l’orchestre donne le meilleur de lui-même, avec de très beaux solos, galvanisé par le chef italien qu’il applaudit longuement lui aussi.



Didier van Moere

 

 

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