Back
Un Honegger très stravinskien Paris Philharmonie 1 03/04/2015 - et 5 mars 2015 Arthur Honegger : Jeanne d’Arc au bûcher, H. 99 Marion Cotillard (Jeanne), Eric Génovèse (Frère Dominique), Christian Gonon (Narrateur), Simone Osborne (Marguerite), Anne-Catherine Gillet (La Vierge), Faith Sherman (Catherine), Thomas Blondelle (Porcus), Steven Humes (Un héraut), Arès Siradag (Figurant)
Chœur de l’Orchestre de Paris, Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris, Lionel Sow (chef de chœur), Orchestre de Paris, Kazuki Yamada (direction musicale)
Côme de Bellescize (mise en scène), Sigolène de Chassy (décors), Thomas Costerg (lumières), Colombe Lauriot (costumes)
M. Cotillard (© Jean-Bapstiste Mondino)
« Oratorio dramatique en un prologue et onze scènes », sur un texte de Paul Claudel : la Philharmonie de Paris, qui n’est pourtant pas un opéra, nous a opportunément rappelé la vocation théâtrale de Jeanne au bûcher – même si le Palais Garnier ne l’accueillit qu’en 1950, quinze ans après sa création en concert à Bâle sous la direction de Paul Sacher.
Passerelle de bois autour de l’orchestre avec, derrière les musiciens, un carré incliné pour le bûcher : cela suffit à Côme de Bellescize pour diriger son monde. Inaugurée en 2012 au festival Saito Kinen de Seiji Ozawa, sa mise en scène se situe au plus près du texte et de la musique, malgré les actualisations diverses – avec d’emblée ce Récitant Monsieur Loyal : elle se réfère à la fois au mystère et à la parade, mêle les élans du mysticisme et les déhanchements du carnaval. Honegger, en effet, associe le sublime et le grotesque, le plain-chant et le jazz, fidèle à l’esprit de Claudel, qui lui-même oppose à la sainte des hommes d’Eglise et d’Etat tournés en ridicule, à commencer par l’évêque Cauchon sous les traits et la voix de chapon de Porcus. Entre le réalisme et le symbole, le metteur en scène joue sur les couleurs, sur le mélange des registres, jusqu’à l’éclatement, sur la dimension populaire de l’ouvrage.
Ainsi, la direction de Kazuki Yamada, qui remplaçait Ozawa en 2012, est bien en situation. A rebours de la tradition, le chef japonais adopte une posture très années 1920, sans doute plus proche de Stravinsky que d’Honegger : lecture décapée, tranchante, tendue comme l’exige un « oratorio dramatique », beaucoup moins sensible au mysticisme de l’œuvre. Voici Jeanne au bûcher proche d’Œdipus rex ! Cela peut surprendre, voire hérisser, mais est-ce si infondé ? On regrette en tout cas que l’orchestre, notamment les ondes Martenot, ne soit parfois qu’imparfaitement restitué – peut-être aussi parce qu’il se trouve en contrebas, prisonnier de la passerelle de bois. Le chœur, en robe de bure, se tire vaillamment et honorablement d’affaire, mais, peu coutumier de ce répertoire, y atteint ses limites. Le ténor, qui a ici tendance à s’égosiller, et la basse peinent parfois à se projeter dans le grand vaisseau, alors qu’on n’aurait pas dû haut percher Catherine, Marguerite et la Vierge derrière le chœur – Anne-Catherine Gillet, heureusement, relève le défi.
Les comédiens ont pris la mesure des enjeux du texte de Claudel : Narrateur très présent de Gonon, Frère Dominique empathique et serein d’Eric Génovèse, Jeanne illuminée de Marion Cotillard, humble et fière, conquérante et naïve, apeurée et bienheureuse, jamais mièvre dans l’innocence.
Didier van Moere
|